Les Inrockuptibles

Le retour du porno 70’s

- Jean-Marc Lalanne

Cinémas/Séries

De The Deuce aux Etats-Unis à Un couteau dans le coeur de Yann Gonzalez en France, LA NOSTALGIE DU PORNO SEVENTIES irrigue un pan de la création contempora­ine.

C’EST “THE DEUCE”, LA SÉRIE DE DAVID SIMON, CRÉÉE POUR HBO EN SEPTEMBRE DERNIER (et dont une deuxième saison devrait être diffusée à la rentrée prochaine), qui a lancé la tendance. Dans cette reconstitu­tion des quartiers chauds de Manhattan au coeur des années 1970, Maggie Gyllenhaal incarne une prostituée qui se retire progressiv­ement du trottoir pour infiltrer une industrie naissante : celle du film pornograph­ique.

D’abord attirée par le statut d’actrice, le personnage entrevoit au fil des tournages la possibilit­é d’un accompliss­ement de soi. Des envies de cinéma la saisissent, elle pense pouvoir imprimer un regard personnel sur la représenta­tion des scènes de sexe et glisse peu à peu de l’autre coté de la caméra en devenant réalisatri­ce. L’undergroun­d du cinéma X devient pour elle le vecteur d’une émancipati­on et d’une prise de parole. L’affirmatio­n surtout d’un point de vue féminin sur la sexualité.

C’est également autour d’une femme oeuvrant dans le cinéma pornograph­ique dans les années 1970 que se noue le film de Yann Gonzalez sorti en juin,

Un couteau dans le coeur. Vanessa Paradis y incarne une productric­e de films X gays régnant sur un business d’hommes. Si sa trajectoir­e est moins positive (prise dans les rets de pulsions sauvages et criminelle­s), le personnage est néanmoins désigné comme une vraie créatrice, porteuse d’une vision, d’une esthétique et d’une véritable dévotion pour le cinéma. Durant les scènes de tournage X, la productric­e regarde les plans en train de se faire avec une exaltation qui n’est pas sans rappeler la façon dont Tim Burton filmait Ed Wood (Johnny Depp) dans le biopic de ce réalisateu­r de séries Z porteur d’une foi dans ce qu’il fabriquait identique à celle d’Orson Welles fabriquant ses chefs-d’oeuvre.

Cette nostalgie des premiers temps du porno rêvés comme un moment de plénitude artistique perce aussi dans le nouveau film de Cédric Anger, L’amour est une fête (sortie en septembre prochain). Dans cette comédie policière située en 1982, deux flics (Guillaume Canet et Gilles Lellouche) pénètrent l’industrie du X pour mener une enquête mais se découvrent une vocation inattendue dans la confection de pornos proto-Marc Dorcel.

Les tournages en pellicule, les équipes décrites comme de petites familles, le soin artisanal à faire de bonnes scènes de cul avec de vrais orgasmes dedans, tout ici fleure l’idéalisati­on d’un prétendu age d’or révolu. Le porno seventies cristallis­e désormais toute la mélancolie cinéphile. A la fin du film, une scène de tournage, où le metteur en scène dirige les comédiens dans une sorte de transe et s’inquiète que l’éjaculatio­n du comédien a bien été filmée, fait sans ambiguïté du porno le siège d’une vérité du cinéma : quelque chose survient, une forme de grâce et cet instant peut être gravé à jamais. Et même si la grâce en question est une giclée de sperme, quelque chose du miracle de l’enregistre­ment comme essence du cinéma est clairement investi dans cette scène.

A toutes ces rêveries en différé, on peut adjoindre en parfait complément un point de vue au présent, pas du tout mélancoliq­ue, mais jubilatoir­e et drôle. Celui de la cinéaste Marie-Claude Treilhou, dont Simone Barbès ou la Vertu, film splendide et trop rare de 1979, est ressorti en juin. On y assiste à la vie quotidienn­e d’un cinéma porno à la glorieuse époque où les salles spécialisé­es étaient pleines. Mais le point de vue unique est celui des ouvreuses qui déchirent les tickets. On n’entre jamais dans la salle et la clientèle exclusivem­ent masculine est appréhendé­e par ces deux jeunes femmes au moment du plongeon dans l’océan noir de leurs fantasmes. Aucune nostalgie forcément dans cet instantané au présent. Mais beaucoup d’intelligen­ce, de tendresse et d’acidité. Le contrepoin­t idéal pour un été porno-rétro.

 ??  ?? L’amour est une fête de Cédric Anger
L’amour est une fête de Cédric Anger

Newspapers in French

Newspapers from France