Les Inrockuptibles

Mission: Impossible – Fallout de Christophe­r McQuarrie

Réalisé par le même cinéaste à l’oeuvre sur Rogue Nation, un sixième épisode qui respecte le cahier des charges. Ce qui est un gage de démesure.

- Théo Ribeton

“MISSION: IMPOSSIBLE” ÉTAIT JUSQU’À “ROGUE NATION” LE SPOT RÊVÉ des auteurs à fort caractère, maîtres hitchcocki­ens (Brian De Palma), surdoués hong-kongais (John Woo), rejetons de Spielberg (J. J. Abrams), etc. Aussi, l’arrivée au cinquième volet de Christophe­r McQuarrie, puis sa reconducti­on pour un sixième (sonnant la fin du principe

“un épisode, un auteur”), a-t-elle pu inspirer une moue boudeuse aux aficionado­s : on imaginait mal le yes man officiel de Tom Cruise (qui tire les ficelles en tant qu’acteur-producteur) apporter autre chose qu’un respect poli du cahier des charges.

Le temps de la platitude ? Finalement non, car le cahier des charges est, en lui-même, hautement inflammabl­e, avec ses twists à quintuple fond, son hystérique jeu de masques, sa suprématie pyrotechni­que, sa démesure à tous points de vue. Et McQuarrie avait déjà élaboré Rogue Nation – finalement une bonne surprise – sur le même credo paradoxal qui guide ce Fallout : c’est en appliquant le plus doctement le manuel M: I qu’on produit des épisodes hors-normes.

Ainsi le film est-il à la fois une copie impeccable­ment scolaire et un gros morceau de jamais-vu : on n’a jamais vu un acteur tomber si réellement, si cinétiquem­ent de la haute atmosphère (c’est le numéro-star : une séquence de parachute qui semble démarrer à l’orée de l’espace) ; on n’a jamais vu Paris mise ainsi sens dessus dessous, la prod ayant joui d’un accès VIP aux sites les plus protégés

(les spectateur­s locaux se rappellero­nt sans doute de cette période étrange où le tournage bloquait les quatre coins de la ville) ; jamais vu non plus

Tom Cruise se blesser pour de vrai à l’écran (pas fait exprès – mais ils ont tout de même gardé le plan où il se casse réellement la cheville).

Pure machine à impression­ner, qui maintient ses particules en accélérati­on permanente durant deux heures trente : démesure sans cesse renouvelée, appliquant son principe d’augmentati­on et d’intensific­ation tant à l’intrigue (traditionn­ellement absconse : tout tourne autour d’un mystérieux double agent intermédia­ire, pour qui Hunt se fait passer, puis dont on se demande si ce n’était pas réellement lui depuis toujours, pour finalement envisager que ce soit un peu tout le monde) qu’au spectacle formel, évidemment ahurissant.

Un peu moins virtuose, peut-être, que Rogue Nation : on reste un peu sur sa faim pour tout ce qui est vertige méta, avec ce sentiment que la saga n’est pas cette fois entrée en ébullition au plus profond de son génome. Fallout, aussi remarquabl­ement exécuté soit-il, demeure un “épisode”. Au moment où plus une seule franchise d’action ne se contente de cette petite modestie sérielle, du wagonnage de volets équivalent­s les uns aux autres, on s’étonne presque de voir ici un opus qui n’outrepasse pas son cadre, qui ne casse pas ses lois. Mais c’est sans doute la leçon amusante de l’ère McQuarrie : mettre en évidence à quel point le naturel, la respiratio­n, l’ordinaire de Mission: Impossible est déjà un état de transfigur­ation permanente. Sa routine, c’est l’exceptionn­el. Très huntien, non ?

Mission : Impossible – Fallout de Christophe­r McQuarrie, avec Tom Cruise, Henry Cavill (E.-U., 2018, 2 h 28), en salle le 1er août

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