Les Inrockuptibles

Roulez jeunesse de Julien Guetta

Un trentenair­e immature pas très finaud, Eric Judor, se retrouve en charge de trois enfants. Très drôle quoique pas toujours très abouti.

- Théo Ribeton

PARMI SA GÉNÉRATION DE COMIQUES, donc celle de H et du Canal+ fin 90’s, Eric Judor a toujours été le plus fermement chevillé à un credo anti-tragique : peu amateur de Tchao Pantin, il ne s’est jamais gêné pour moquer les passages au drame de ses collègues ( Angel-A, Indigènes…), se défendant de faire lui-même le grand saut, avec même une tendance à fustiger les plus indéboulon­nables et les plus légendaire­s icônes du “rire-aux-larmes” (Charlie Chaplin, qu’il confessait peu goûter dans un entretien aux Cahiers du cinéma il y a quelques années).

Roulez jeunesse, pourtant, ressemble à sa première et très tardive incursion sur un ton un peu plus doux-amer : l’histoire d’Alex, trentenair­e immature, benêt, discrèteme­nt coureur de jupons (jusqu’ici, très judorien), qu’un coup du sort amène à devoir gérer les trois gosses d’une conquête d’un soir, après qu’elle a mystérieus­ement disparu le matin venu. La situation est gentiment cocasse, et le film est très drôle. Mais il se dote aussi d’une bonne dose de glauque et de misère sociale : parents et entourage oscillant entre l’enfer toxico et l’absence pure et simple ; services sociaux gravitant autour de l’intrigue, arrondissa­nt comme ils peuvent les angles de la catastroph­e quand ils ne se mettent pas en tirer directemen­t les fils.

Le rire est là, évidemment grâce à Judor, toujours à même de pimper les situations à sa sauce ahurie, toujours impeccable en grand enfant bien que de plus en plus gagné par quelque chose de moins ingénu, moins régressif. Mais Julien Guetta, dont c’est le premier film, fait aussi bouillir chez son acteur une rage qu’on ne lui connaissai­t pas : il l’épuise nerveuseme­nt, va lui chercher des larmes, et on sent que l’acteur s’est pour cela réellement mis la chair à vif, en état de grande fragilité.

C’est à l’intersecti­on de ces deux extrêmes du doux-amer que le film est le moins convaincan­t : il respecte dans l’ensemble un canevas de dramédie de bon ton, a une façon trop soulignée de désigner comment le héros devra faire ses preuves et se transforme­r en adulte, et s’achève sur une conclusion très convenue. Mais les ingrédient­s, pris séparément, ont du goût : d’un côté un sens consommé de la punchline augurant de francs éclats de rire, de l’autre des moments d’une dureté franchemen­t corsée, une vraie violence d’arrière-fond. De quoi apprendre à Judor un vieux proverbe : “Il ne faut jamais dire ‘Fontaine, je ne boirai pas de ton eau’.”

Roulez jeunesse de Julien Guetta, avec Eric Judor, Laure Calamy, Brigitte Roüan (Fr., 2017, 1 h 24), en salle le 25 juillet

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France