Les Inrockuptibles

Ceci n’est pas de l’electro

YAN HART-LEMONNIER, pape undergroun­d de l’electro lo-fi savante et rigolote, dévoile une expérience poétique pleine de surprises.

- Rémi Boiteux

REGARDEZ LES TITRES DES MORCEAUX ( A la fin, tout le monde s’est essuyé sur moi ; Quelques astuces pour dégonfler vos yeux…) et vous y verrez du Magritte, voire du Perec. D’ailleurs ce quatrième album, accueilli sur le passionnan­t label londonien Adaadat Records, a commencé comme un exercice oulipien, oumupien plutôt – d’OuMuPo, ouvroir de musique potentiell­e. Après le plus mélancoliq­ue et introspect­if Souvenirs de l’âge d’or, l’Angevin fondateur du regretté label Ego Twister (San Carol et plein d’inventeurs electronic­a, aux marges et aux frontières de la pop et de l’electro les plus inclassabl­es) s’était en effet donné pour contrainte geek de composer un album où chaque morceau serait la demo d’une boîte à rythmes imaginaire différente, et totalement fictive.

Comme souvent avec l’olibrius expert en chiptune, le plan de départ a plutôt servi de toile sur laquelle projeter ses envies plus spontanées et poétiques. Et toute une poésie oblique, non conviée au départ, s’est invitée jusqu’à prendre le contrôle des opérations. Avec ses airs d’art brut (on pense parfois à du Aphex Twin bricolé d’après un obscur tuto YouTube) et ses embardées de funk étrange et désossé, Le Coeur et la Raison pousse le dévissage un cran plus loin que ses déjà secoués prédécesse­urs Souvenirs de l’âge d’or, donc, et le tout aussi indispensa­ble Valeurs modernes. Cousin des K7 du label Hausu Mountain de Chicago (Lock Box, Quicksails…), l’album aux dix tableaux instrument­aux et surréalist­es prouve que ce n’est pas parce qu’on est savant qu’on doit se prendre au sérieux. Est-on jamais sûr, à son écoute, de savoir où va un morceau comme Sans un rêve aucun ?

– pourtant, c’est les yeux fermés qu’on le suit.

On retrouve chez Hart-Lemonnier ce désir de donner à entendre du jamais-entendu, sans perdre de vue l’objectif vital de faire plaisir, sourire, voire danser. Même, et surtout, danser mal : c’est-à-dire inventer de nouvelles formes en trébuchant. D’émouvantes mécaniques détraquées comme L’Empire des sentiments ou Enfin réconcilié­s viennent confirmer que c’est là l’art dans lequel il excelle.

“Ce qui peut s’identifier rapidement retient en général assez peu mon attention”, dit-il. A l’écoute de ses disques, on voit très bien ce qu’il entend par là.

A défaut de l’identifier en vitesse, on dira qu’il est à sa manière notre James Ferraro de proximité.

Et que son dernier album est bourré de coeur – pour la raison, on repassera.

Le Coeur et la Raison (Adaadat Records)

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