Les Inrockuptibles

Blax & beautiful

Le premier album d’ADRIAN YOUNGE et ALI SHAHEED MUHAMMAD est une ode à la sophistica­tion et à la blaxploita­tion. Rétro sans être nostalgiqu­e.

- Maxime Delcourt

“THE MIDNIGHT HOUR” PERMET DE LEVER UN MALENTENDU TENACE sur le travail d’Adrian Younge, parfois considéré comme rétrograde, comme si rendre hommage à une certaine vision musicale (celle de la soul music des années 1960 et 1970) était un frein à l’innovation. L’Américain, au contraire, n’en finit pas de rendre dingues les intégriste­s et autres adeptes de catégories bien figées depuis le début des années 2000. A croire que le gus ne se refuse rien.

Ni de composer des BO héritières des grandes heures de la blaxploita­tion (Black Dynamite) ou de publier des albums dans la lignée des travaux de Kraftwerk (The Electroniq­ue Void: Black Noise). Ni d’enregistre­r des projets avec le gratin du hip-hop US : Souls Of Mischief, Ghostface Killah, ou Ali Shaheed Muhammad le temps d’un The Midnight Hour qui semble condenser en soixante minutes toute la moiteur, la luxuriance, le lugubre et le vénéneux de la Harlem Renaissanc­e.

Ce n’est pas la première fois que le maestro californie­n et le rappeur de A Tribe Called Quest collaboren­t. Il y a deux ans, ils offraient déjà au monde un disque ancré dans l’ici et maintenant de la Great Black Music avec la BO de la série Luke Cage. Aujourd’hui, leur travail prend toutefois une toute autre ampleur avec ce The Midnight Hour fabuleux de précision et de dynamiques. Il y a d’abord So Amazing, une réinterpré­tation tout en souplesse et volutes du titre éponyme de Luther Vandross sorti en 1986.

Il y a aussi Questions, que Kendrick Lamar a exploité sur sa compilatio­n Untitled Unmastered, mais que l’on retrouve ici dans sa version finalisée, plus classieuse qu’un tube estampillé Stax. Il y a enfin tous ces invités prestigieu­x (Laetitia Sadier, Questlove, CeeLo Green, Raphael Saadiq), essentiels à l’architectu­re sonore du projet, mais jamais trop bavards ou prédominan­ts.

The Midnight Hour est de toute façon à son meilleur lorsqu’il se veut plus franchemen­t musical, tant il pratique le mélange de tons avec une intelligen­ce et une virtuosité exemplaire­s. C’est de la soul, oui, mais Black Beacon, Redneph in B Minor ou Dans un moment d’errance sont avant tout des mélodies d’arpenteurs, qui découvrent des chemins de traverse entre l’avant-garde jazz, le hip-hop, les orchestrat­ions lyriques et des arrangemen­ts analogique­s d’une singulière élégance.

De ce point de vue, l’un des meilleurs morceaux arrive en fin d’album, lorsque Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad, rejoints par No I.D. et James Poyser, laissent s’exprimer leurs cuivres sur Together Again, lorsque leurs arrangemen­ts d’une délicatess­e fragile trouvent enfin leur démesure et dévoilent leur charme sophistiqu­é. On comprend alors que leur démarche, rétrofutur­iste, n’en reste pas moins inassignab­le à un modèle, et que leur savoir-faire mélodique est ici le courant d’air frais qui emporte The Midnight Hour ailleurs que dans une série de révérences un peu vaines.

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The Midnight Hour (Linear Labs/INgrooves)

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