Elvis Presley
Where No One Stands Alone Legacy/Sony Music
Une relecture du répertoire gospel du King. Une réussite en dépit du caractère un peu douteux de l’entreprise.
L’entreprise peut sembler surréaliste : conserver les parties vocales d’Elvis Presley (empruntées à ce répertoire gospel qui permit au chanteur de glaner les trois Grammys de sa carrière durant les sixties), et les apparier à de nouvelles orchestrations et instrumentations. Exit donc les incommensurables pointures des sessions primitives (les guitaristes Scotty Moore et James Burton, l’harmoniciste Charlie McCoy), et place à Darlene Love (elle participa en 1968 au TV Special du come-back), aux choristes Cissy Houston (The Sweet Inspirations) ou The Imperials, deux ensembles qui accompagnèrent, sur scène ou en studio, le King dans ses premières fièvres liturgiques. On est même gratifiés d’un duo virtuel sur la chansontitre, grâce à la participation de Lisa Marie Presley, coproductrice de l’aventure. Le répertoire est emprunté aux incunables du genre, mais mobilise également quelques partitions originales, comme le Saved de Leiber et Stoller. Naturellement, les nuances sont ténues : tel orgue initial, trop ouvertement zinzin d’église, disparaît
au profit d’un piano acoustique. Sur
I’ve Got Confidence, les licks de guitare innervés sont remplacés par une section de cuivres massive, la batterie se fait plus claquante, ailleurs les roulements de caisse claire, vaguement surannés, s’évaporent. Et les mignardises bluesy de la version originale d’Amazing Grace sont laissées au vestiaire, même si les choeurs féminins planent toujours aussi haut dans les cieux. L’ensemble reste de haute tenue, et les quatorze chansons continuellement agréables à écouter. Mais on aura compris que, par-delà le cynisme et l’irrespect du processus, face à toute démarche artistique, l’intérêt de cet album est ailleurs, premier acte d’un mouvement sans fin qui verra un répertoire forcément limité – tout ou presque d’Elvis a été aujourd’hui édité – se renouveler ad nauseam au fil des années, grâce à des arrangements au goût du jour, ou supposés tels. On écrit ici un chapitre inédit du Portrait de Dorian Gray, et Presley fait un pas supplémentaire vers l’immortalité. Sans doute le privilège des rois.