Les déesses du crépuscule
“Comment peut-on s’imaginer, en voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver ?”, bramait Jean Ferrat, le poète Nature et Découvertes. Il existe d’autres instruments de mesure de l’automne qui s’immisce dans les âmes. Par exemple, deux albums déjà réglés sur l’heure d’hiver, par deux femmes que tout sépare, réunies en ce déclin des jours par les bleus qu’il faut compter, les morts qu’il faut recenser, les rides qu’il faut cartographier. Marianne Faithfull et Cat Power. Deux immenses albums automnaux, deux odes à l’affaissement des jours, des vies, chantées, murmurées sur des tempos ralentis, au bord de l’extinction. Tout sépare l’aristo défroquée et la sauvageonne des suburbia de l’Amérique bis. Tout sauf Negative Capability et Wanderer, leurs albums respectifs, leur goût des ombres qui s’allongent, des chansons solennelles, des mises en scène sépulcrales. On vous laisse imaginer l’effroi que distille Faithfull quand elle chante “Je sais que je ne suis plus jeune, que je suis endommagée, mais je demeure jolie, gentille et drôle”, quand elle confie plusieurs chansons magnifiquement macabres à un Nick Cave jamais aussi à l’aise qu’entre chien et loup. Il faut entendre les deux femmes s’approprier, sur deux reprises symboliques, des chansons de leur temps : les Stones, une fois encore, pour l’éternité sur As Tears Go By pour Faithfull ; le déjà nu Stay de Rihanna en souvenir de virées pas forcément romantiques en voiture pour Cat Power. Tout ici, dans leur sobriété, leur intensité, leur gravité, exproprie les propriétaires de ces chansons. Car ce qui les rassemble sur ces albums poignants, ce sont les stigmates de la lutte vaincus en légèreté par un amour de la musique plus fort que tout. “Quels que soient les drames, la musique restera merveilleuse”, écrivait Kurt Vonnegut. La preuve une fois encore avec ces deux trésors crépusculaires.