Les Inrockuptibles

The Beta Band

A l’occasion d’une réédition intégrale, John et David Maclean retracent l’histoire d’un groupe sous-estimé

- TEXTE JD Beauvallet

Vingt ans après leur premier ep, on réédite enfin l’intégrale des Ecossais THE BETA BAND , le groupe le plus scandaleus­ement sous-estimé (et pillé) de son époque. Pour comprendre pourquoi, nous avons réuni le rescapé John Maclean et son petit frère David, ex-fan et membre du groupe DJANGO DJANGO.

DANS LA MUSIQUE, CHAQUE GÉNÉRATION PEUT PLEURER SES “UNSUNG HEROES”, CES HÉROS ANONYMES scandaleus­ement ignorés par leur époque. Parfois, leur influence met des années à faire surface, au rythme du bouche-à-oreille. Le Velvet Undergroun­d en reste un bon exemple… Mais le sort du Beta Band est plus cruel encore, car le collectif écoassais azimuté influença ses pairs de son vivant, sans en tirer les moindres dividendes. Arrivé trop tôt, comme le veut le martyre des musiciens en décalage, The Beta Band sera porté aux nues par ceux qui semblaient alors l’élite de la post-britpop : Oasis, Blur et Radiohead vénéreront les Ecossais, quitte parfois à les piller un peu. “C’est vraiment dégueulass­e : ils sont riches, connus, ils peuvent sans vergogne piquer les idées d’un petit groupe comme nous sans que personne ne le remarque – et en plus passer pour des innovateur­s”, nous confiera en 1999 le groupe, furieux, en évoquant l’album 13 que Blur venait de publier.

Même Jean-Louis Murat, souvent hermétique à toute chose britanniqu­e, poussera le vice jusqu’à suivre le groupe en tournée. Dans le film High Fidelity (Stephen Frears, 2000), basé sur le roman de Nick Hornby, la musique des Ecossais tient un rôle phare dans une scène d’anthologie où l’importance du groupe est martelée avec une mauvaise foi rendue nécessaire par le mépris que leur réservèren­t leurs contempora­ins.

Visuelleme­nt – en toges ou en boubous, façon kermesse hip-hop chez Krishna – et soniquemen­t – avec ses beats béats babas trop bath –, The Beta Band jouait à des années-lumière des pop songs et costumes pareilleme­nt étriqués de leurs contempora­ins. Alors que Tony Blair venait de prendre le pouvoir, c’est pourtant The Beta Band qui opposait aux conservate­urs le plus virulent front du refus. Il y avait une nonchalanc­e, une patience, une langueur dans leurs chansons, entre le Wu-Tang Clan et Syd Barrett, entre The Beach Boys et Primal Scream, qui en faisaient des hymnes à groover comateux, à l’exemple du monstrueux Dry the Rain. The Beta Band inventait un folk cosmique joué sur des machines de son temps, avec des techniques et des montages en collages hérités de la techno ou du hip-hop.

A cette époque, lors de concerts agités où le groupe psalmodiai­t en chorale possédée son psychédéli­sme faroucheme­nt dansant, vous avez peut-être croisé dans la salle un jeune adolescent, version “mini me” de John Maclean, cofondateu­r du Beta Band. Ce jeune fan, qui ne perdait pas une miette de la tornade, s’appelle David Maclean et c’est le petit frère de John. Des années plus tard, riche de ces enseigneme­nts et de la certitude que la pop-music pouvait être déformée, étirée, il formait son propre groupe : Django Django. John a désormais abandonné la musique et s’est engagé dans une carrière de réalisateu­r (on lui doit Slow West, avec son fan Michael Fassbender). Alors que sort enfin une intégrale consistant­e, enrichie d’inédits et de portfolios, du désormais légendaire Beta Band, nous avons réuni les deux frères Maclean pour une discussion sans nostalgie sur ce qui aurait pu être, aurait dû être.

Nous voici dans un studio de répétition. John, es-tu nostalgiqu­e de la musique, de sa conception ?

John — Le côté laborieux des répétition­s, des tournées ne me manque pas. Je n’aimais que jouer live et enregistre­r. Je panique dès qu’il y a trop de câbles. J’ai fait exploser pas mal de machines en faisant de mauvais branchemen­ts.

David — Alors que moi, j’adore justement ça… (il montre un gigantesqu­e tableau de patches, qui ressemble à un vieux standard téléphoniq­ue) Je peux passer des heures à relier les machines entre elles, c’est mon plaisir. Plus je vieillis, plus je tente des choses dingues, excentriqu­es en studio.

“Ce que le label Because n’avait pas mesuré en nous proposant ces rééditions enrichies, c’est le nombre de chansons inédites que nous avions en stock. Nous avons beaucoup expériment­é” JOHN MACLEAN

Quels sont vos premiers souvenirs de musique ?

John — J’avais 8 ans quand David est né. Mais je n’ai vraiment compris qu’il était là que lorsqu’il s’est mis à défier mon leadership en termes de musique, d’art, de cinéma. Jusque-là, je l’avais à peine remarqué. Je n’étais pas très hype, alors que lui a toujours été très cool.

David — A 6 ans, j’étais déjà passionné par la musique, le skate, le cinéma… Je savais tout sur les Monty Python, les Beatles… Il y avait plein de vinyles à la maison – Pink Floyd, Pentangle, du blues… J’avais fait un graffiti sur le mur reproduisa­nt la pochette de The Wall de Pink Floyd, mes parents ne m’avaient même pas engueulé. Notre père est artiste, il me refilait tous ses livres sur le pop art, les collages. Ça m’a façonné aussi. Il jouait de la guitare sèche, du piano, et notre soeur, de la batterie et de l’accordéon. Nous habitions à Dundee, en Ecosse. Mon père y a enseigné l’art à plein de musiciens, comme Edwyn Collins.

Vous avez rejeté l’art ?

John — Notre père nous a toujours poussés vers l’art. Nous aurions pu nous rebeller et devenir avocats ou huissiers. Mais non : on faisait sans arrêt de la musique, des vidéos… J’ignore même ce que c’est de se rebeller contre ses parents : j’étais un vrai nerd, j’allais chez les scouts, je n’avais qu’un seul et unique copain. Tout ça jusqu’à ce que je rencontre les autres membres du Beta Band en école d’art. Là, j’ai desserré la cravate ! J’ai commencé à acheter plein de disques, à jouer en tant que DJ, ce qui m’a rapidement mené au sampling… Faire partie d’un groupe n’avait jamais été une ambition, The Beta Band m’est tombé dessus. Je me suis retrouvé par hasard en colocation avec leur batteur et leur songwriter. Ils avaient un petit studio, j’ai ajouté mon sampler à leur équipement et on a commencé à expériment­er ensemble. Ce n’était pas un groupe, juste des mecs qui faisaient de la musique au lieu de regarder la télé. Je n’avais aucune ambition, mais j’ai été embarqué malgré moi dans un train qui ne s’est pas arrêté pendant plusieurs années (rires)… Nous avons vite signé avec un label, nous avons commencé à tourner immédiatem­ent ; rien de tout ça n’était planifié. Je ne me serais jamais bougé les fesses sans ce hasard de colocation.

David — Alors que moi, je jouais dans des groupes avant même que John ne fonde The Beta Band, dès le lycée. On reprenait les Stone Roses et, un peu plus tard, Dry the Rain des Beta Band ! Je me suis retrouvé batteur alors que mon rêve était de devenir producteur. Je me suis acheté un ordinateur, j’ai récupéré le logiciel Cubase et j’ai tout appris seul. Mon idée était de faire de la techno, mais en tant que batteur, ça me menait au chômage technique (rires)… J’ai alors commencé à produire les chansons de Django Django, avant de devenir membre du groupe, puis, comme John, j’ai été aspiré. Fin de ma carrière techno ! Je n’ai jamais voulu partir en tournée, ma seule ambition était de passer ma vie ici, en studio. Pour des extraverti­s, ça doit être super, les tournées. Mais pas pour nous !

D’où venait le son si particulie­r du Beta Band ?

John — De la liberté. Comme nous n’étions pas un groupe, que nous n’avions pas planifié de jouer live, tout était possible. Ça explique le côté très détendu, désordonné même de nos chansons. Tout était permis, sans garde-fous, sans limites, car rien n’était destiné à sortir de notre maison. Et puis nous étions incompéten­ts, ce qui garantissa­it la simplicité, la naïveté de nos mélodies.

The Beta Band a sorti son premier ep en 1997. David, étais-tu fier ou jaloux de ton frère ?

David — Fier. J’avais 15 ou 16 ans et je ne ratais pas un de leurs concerts. Je faisais même souvent DJ en première partie, je jouais de la techno, ce qui ne passait pas forcément bien avec leur public. Dans mon école, ceux qui lisaient le NME n’en revenaient pas que mon frère joue dans un groupe encensé par Blur ou The Verve. A la cantine du lycée, ils passaient ses cassettes à fond. Notre école était si fière de lui.

John — La vie en tournée avec The Beta Band était assez soft, même pour un môme de 15 ans. Les vraies rock-stars du groupe, c’était nos roadies. David et ses copains étaient sans doute plus outrancier­s que nous.

The Beta Band est-il arrivé trop tôt ?

John — Définitive­ment. Personne n’était prêt pour ce son. Aujourd’hui, nous recevrions le soutien d’une radio comme BBC 6 Music. Mais à l’époque, il n’existait rien, pas même sur le net. Aucune radio ne nous diffusait, on était juste des parias. Notre seul soutien venait de nos pairs, beaucoup de groupes, d’Oasis à Radiohead, nous défendaien­t à fond. Mais 1997, c’était encore le règne strict de la britpop, personne ne pouvait comprendre un groupe comme ça : notre batteur était obsédé par Santana, notre bassiste par le reggae dub, moi par le Wu-Tang Clan. Alors que tous les groupes britpop vénéraient les Kinks. Seul Beck semblait alors sur notre longueur d’onde. Dans le passé pourtant, des Talking Heads à The Clash, ces mélanges de styles avaient été acceptés. Ce qui nous a sauvés de la frustratio­n, c’est que nous cartonnion­s aux Etats-Unis au moment même où le Vieux Continent nous ignorait.

Les Américains ont tout de suite pigé notre psychédéli­sme,

alors que les Anglais en étaient encore à chercher une petite case où nous ranger, des idioties comme “folktronic­s” ou “electrohip­hop”. Pour un groupe comme The Beta Band, qui ne passait nulle part, c’était vital d’obtenir d’autres moyens de diffusion, comme la scène du film High Fidelity. C’était comme une longue publicité pour notre musique en plein milieu d’un blockbuste­r. C’était surréalist­e.

Tu es désormais réalisateu­r. Comment s’est passée cette transition ?

John — J’ai toujours été obsédé par les films expériment­aux. C’est pour ça et non pas pour les arts plastiques que je me suis inscrit en école d’art. Je ne ratais pas un film au ciné-club de la fac, des westerns aux films d’horreur. Je voulais tout décrypter. A tel point que je suis parti longtemps aux Etats-Unis, histoire de constater de mes yeux que New York était vraiment comme chez Scorsese, que les villages ressemblai­ent à ceux de David Lynch, que Los Angeles était comme dans un film d’Altman. J’adore encore créer des boucles, créer des sons, mais petit à petit j’ai ressenti le besoin d’être moins abstrait, de commencer à raconter des histoires, à être plus visuel.

Je me sentais de plus en plus comme un imposteur en studio, mon oreille n’était tout simplement pas assez affûtée. Alors que j’étais totalement dans mon univers lorsque je réalisais les vidéos du groupe. Dans mes films, j’apporte de la musique, du son, mais sans jouer. Dès le Beta Band, mon apport était déjà ainsi : plus conceptuel que strictemen­t musical. J’avais appris de Warhol que les idées comptent plus que la réalisatio­n. Je n’ai jamais été un musicien de session, mais personne ne sonne comme moi (rires)…

Repenses-tu à cette aventure Beta Band ?

John — J’entends parfois une chanson par hasard et ça me replonge dans cette saga… Ça ne cesse de m’étonner qu’on nous ait alors laissé autant de latitude, de liberté.

On se lançait des défis sur les choses les plus impensable­s à demander à notre label, on envoyait ces listes en étant certains qu’ils nous diraient qu’on rêvait, et parfois ils réussissai­ent à obtenir ce qu’on n’envisageai­t pas sérieuseme­nt nous-mêmes. C’est, par exemple, comme ça qu’on a travaillé sur le second album, Hot Shots II, avec le producteur de r’n’b C-Swing. Par esprit de contradict­ion, un peu ! Mais je suis ravi que notre catalogue soit réédité presque vingt ans plus tard, il fallait que ces chansons soient présentées à une nouvelle génération… Ce que le label Because n’avait pas mesuré en nous proposant ces rééditions enrichies, c’est le nombre de chansons inédites que nous avions en stock. Nous avons beaucoup expériment­é.

Qu’est-ce qui a tué le groupe ?

John — Notre chanteur Steve Mason a commencé à s’inquiéter de la routine, de la répétition, il avait peur que nous ne soyons plus excités par nos propres chansons.

Il a donc cherché à retrouver cette fraîcheur ailleurs, sous le nom de King Biscuit Time. On a tous été soulagés quand il nous a dit que c’était fini, après un concert à Paris. Car même si nous ne nous amusions plus, aucun de nous ne souhaitait porter la responsabi­lité de notre séparation. Je n’avais aucune envie de mettre les autres au chômage, mais inconsciem­ment j’avais déjà préparé mon après-Beta Band en tissant des liens dans le monde de la vidéo et du cinéma. Je te revois, David, tu chialais comme un crocodile quand tu as appris notre séparation (rires)… Mais nous avons fait ça proprement, avec une tournée d’adieux où on jouait plus de deux heures chaque soir, face à un public ému.

Entendez-vous une filiation entre The Beta Band et Django Django ?

David — Nous avons grandi avec les mêmes centres d’intérêt, les mêmes expérience­s, les mêmes disques, c’est normal qu’il existe des échos. Nous avons tout écouté, du punk au hip-hop, du folk à la pop, cet éclectisme s’entend dans les deux groupes. Ce sont juste deux groupes amoureux de la musique.

Vous avez joué ensemble un jour ?

John — On en a souvent parlé, mais ça ne s’est jamais fait. Mais nous avons fait des DJ-sets ensemble. Nous sommes probableme­nt trop désorganis­és pour trouver du temps libre au même moment. Pour renvoyer l’ascenseur, c’est parfois moi qui fais le DJ en première partie de Django Django.

Et je suis très jaloux quand je les vois sur scène. Ça a l’air super de jouer dans un groupe.

Rééditions The Beta Band, The Three ep’s, The Best of the Beta Band, Hot Shots II, Heroes to Zeros (Because) Rééditions de King Biscuit Time à venir

EP Django Django, Winter’s Beach (Because)

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 ??  ?? The Beta Band : de gauche à droite Robin Jones, Steve Mason, Richard Greentree et John Maclean, en 1997
The Beta Band : de gauche à droite Robin Jones, Steve Mason, Richard Greentree et John Maclean, en 1997

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