Les Inrockuptibles

Fenêtres sur cour

Dans un court texte à fragments, CÉLIA HOUDART imagine “la vie rêvée” des habitants du 168, rue de Crimée. Un exercice à la Queneau qui lie l’architectu­re, les lettres et l’intime.

- Léonard Billot

INTERNET. GOOGLE VIEW. RECHERCHE : 168, rue de Crimée. Mode Satellite. Zoom au max. Deuxième itinéraire, après celui, traditionn­el, d’avoir ouvert le livre, tourné une page. Et déjà, le projet de Célia Houdart s’esquisse : il s’agit ici de décloisonn­er le littéraire, l’extraire de la page pour donner à lire autant qu’à “admirer”. Le mot reviendra tout au long du texte, comme une rengaine, comme un conseil, comme une prescripti­on.

Il y a un an déjà, l’auteure suivait de sa plume les lignes épurées de la villa E-1027 conçue par l’architecte irlandaise Eileen Gray à Roquebrune-Cap-Martin et en faisait le personnage principal de son solaire Tout un monde lointain (P.O.L). Le regard de l’écrivain comme une invitation à entrer. Faire effraction. Délicateme­nt.

Sur Google View, au 168, rue de Crimée, la 3D dévoile une cour pavée qu’encadrent une ancienne imprimerie transformé­e en studios d’artistes et un immeuble faubourien strié de loggias. Et puis, deux bâtiments géométriqu­es et modernes, qu’on dirait couverts d’or. La cour a ainsi des airs de place futuriste, de villa étincelant­e.

La réhabilita­tion de l’espace est signée Sarah Bitter, cofondatri­ce de l’agence Metek. Une architecte qui envisage son art comme un geste total. Et n’en déplaise à Frank Zappa, elle pense qu’on peut “danser sur l’architectu­re” et même la filmer ou l’écrire. Alors, pour l’inaugurati­on, Sarah Bitter a invité danseurs, cinéastes, philosophe­s et écrivains à magnifier son projet.

Ainsi, Célia Houdart a décidé d’imaginer “la vie rêvée” des futurs habitants de ces trente et un logements sociaux d’architecte­s. Aux 212 fenêtres répondent 212 fragments de fiction : un artiste-vidéaste qui capte son voisin, un homme qui boit son café, un couple qui dort à la belle étoile ou une femme qui apprend l’italien en écoutant des opéras à la radio. Inventaire­s et inventions de ces intimités fugitives qui façonnent l’utopie collective. Car l’architectu­re, rappelle Célia Houdart, est avant tout un art qui se vit. Bienvenue chez eux.

Villa Crimée (P.O.L), 96 p., 14 €.

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