Les Inrockuptibles

L’amour en héritage

Frank Vercruysse­n, pilier de tg STAN, et Georgia Scalliet, jeune sociétaire de la Comédie-Française, rejouent l’ambiguïté des sentiments dans l’adaptation théâtrale d’APRÈS LA RÉPÉTITION d’Ingmar Bergman.

- Fabienne Arvers

PASSÉ MAÎTRE DANS L’AUSCULTATI­ON DES RAPPORTS AMOUREUX, Ingmar Bergman s’est prêté à l’hypothèse inverse du proverbe “Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces”. Ainsi, un jeune singe pourrait bien, si on le provoque, en remontrer à son aîné. Dans un film sorti en 1984, Après la répétition, il imagine un dialogue à fleurets mouchetés entre une jeune actrice, Anna Egerman, et un metteur en scène célèbre et vieillissa­nt, Henrik Vogler.

La brillante idée de ce dernier round de la compagnie tg STAN au Festival d’Automne à Paris, après Infidèles et Atelier, consiste à donner chair à ce duel en opposant sur le plateau Frank Vercruysse­n, pilier de la troupe belge, à l’extraordin­aire jeune actrice Georgia Scalliet, sociétaire de la Comédie-Française. Incroyable de penser qu’à la sortie du théâtre de la Bastille, elle court au Français où elle joue l’un des rôles principaux dans La Nuit des rois de Shakespear­e mis en scène par Thomas Ostermeier (lire page précédente). L’énergie de la jeunesse, c’est une chose, le talent, la grâce de la présence, c’en est une autre, qu’elle possède et distille avec un plaisir contagieux.

Sur un plateau nu où trône un divan austère et une table de régie pour la lumière, Vogler voit revenir Anna après la répétition. Elle doit jouer le premier rôle du Songe de Strindberg, pièce qu’il a déjà montée plusieurs fois. D’abord, elle l’interroge sur la nature exacte de ses relations avec sa mère, Rakel, actrice elle aussi, qui avait déjà interprété ce rôle vingt ans plus tôt. Elle avait ensuite cessé de jouer, avant de sombrer dans l’alcool. Morte depuis, elle hante les souvenirs de sa fille et de Vogler. Ce dernier avait eu une relation avec Rakel, ce qu’il nie, et l’avait aimée tout comme il se sent attiré par Anna, ce dont il se défend. Anna doute de ses talents d’actrice, mais c’est la comédie qu’elle joue au quotidien que Vogler lui reproche.

Le théâtre va alors servir d’exutoire et de support à leur dialogue en forme d’exercice de style sur l’art du comédien où, plutôt que de les vivre, chacun va jouer ses désirs comme des pièces à déplacer sur l’échiquier des sentiments. Au coeur de cette joute amoureuse qui s’abrite derrière l’art théâtral, une scène – au choix fantomatiq­ue, surnaturel­le, ou mise en abîme vertigineu­se de l’acteur de théâtre – où Rakel s’invite sur l’aire de jeu. Il suffit pour cela que Georgia Scalliet se verse une bouteille d’eau sur la tête et la voilà transfigur­ée, abîmée par l’alcool, terribleme­nt séduisante et totalement perdue. Et si c’était cela, jouer, un rempart contre la perte ? Une protection contre des émotions à vif qui se cognent au réel et ne bénéficien­t jamais de la possibilit­é d’une répétition.

Après la répétition de et avec Georgia Scalliet et Frank Vercruysse­n, tg STAN, texte Ingmar Bergman, jusqu’au 14 novembre au théâtre de la Bastille, Paris XIe, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

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Georgia Scalliet

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