Hommage
L’auteur du Dernier Tango à Paris accompagna les soubresauts politiques, sociaux et sexuels des années 1960-1970. Si son cinéma s’empesa un temps dans des fresques historiques, le cinéaste finit pourtant par retrouver son tranchant.
Bernardo Bertolucci, 1941-2018
BERNARDO BERTOLUCCI ÉTAIT UN CINÉASTE SULFUREUX. Il n’a pas fallu attendre, il y a cinq ans, ses aveux sur les circonstances du tournage de la scène (trop fameuse) de sodomie (simulée) du Dernier Tango à Paris (1972), avec Marlon Brando et Maria Schneider – improvisée sans que l’actrice en ait été avertie au préalable – pour le savoir : le cinéma de Bertolucci était imprégné de folie sexuelle. Une folie sexuelle qui reflétait les errements politiques, psychologiques, historiques (comme dans 1900) des hommes et des sociétés.
BB naît au début des années 1940. Fils d’un poète parmesan, il débute au cinéma comme assistant de Pier Paolo Pasolini sur Accattone. Bertolucci est au fait de tout : il fréquente Paris, la Cinémathèque française, les Cahiers du cinéma, Godard, il est ami avec Philippe Garrel. Il vit sa jeunesse au milieu d’une époque politiquement et intellectuellement très engagée, la génération de Marco Bellocchio aussi, si marquée par les expériences de toutes sortes (drogues, libération sexuelle, psychanalyse, etc.), qui fondent un monde instable et stimulant.
C’est Prima della rivoluzione, son deuxième film, tourné en 1964, qui annonce l’entrée de Bertolucci en tant que cinéaste dans la cour des grands.
Il y met en scène un jeune homme communiste tiraillé entre ses aspirations bourgeoises et l’envie de s’engager auprès des gauchistes. BB est en phase avec les déchirements politiques qui amèneront à la tentation du “compromis historique” entre la Démocratie chrétienne et le Parti communiste et déclencheront la lutte armée en Italie dans les années 1970.
Bertolucci lui-même, dans un deuxième temps, va incarner ce choix impossible. Après avoir coécrit le scénario d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, il s’oriente vers un cinéma plus riche, plus bourgeois, à grand budget.
Le Dernier Tango à Paris est un film fulgurant, provocateur, mais un peu trop conscient de lui-même. Le Conformiste, déjà, film sur un traître, d’après le roman de Moravia, s’inscrit un peu maladroitement dans la mode “rétro” qui sévit au début des années 1970. 1900 (1976) en revanche (qui sort ces jours-ci en Blu-ray en version restaurée), est un film politique sur la période du fascisme d’une sidérante violence.
Ensuite, Bertolucci gravit les paliers de la reconnaissance mainstream en tournant en Chine Le Dernier Empereur (1987), grande fresque historique qui va lui valoir de remporter neuf oscars. Il enchaîne sur quelques films de cet acabit ( Un thé au Sahara, 1990 ; Little Buddha, 1993), soldant beaucoup de sa singularité dans des superproductions culturelles sans grands enjeux. Il semble perdu dans un mercantilisme bien éloigné des aspirations de sa jeunesse. Dans les années 19902000, il s’enfonce encore dans des bluettes lisses ( Shandurai, 1998 ), parfois un peu libidineuses ( Beauté volée, 1996).
Et puis il tourna Moi et toi, son dernier film, en 2012, injustement méconnu, où il reparlait une dernière fois de l’inceste (un motif insistant dans son oeuvre, de
La Luna en 1979 à The Dreamers en 2003). Mais le regard du cinéaste avait sur la fin repris de son tranchant, lucide, tendre, sur les enjeux profonds, mystérieux qui agitent souterrainement la sexualité humaine.