Les Inrockuptibles

Musiques

- Valentin Gény

Jacco Gardner, Magnetic Ensemble, Neil Young, Farai, Parra for Cuva, Paint

Le prodige JACCO GARDNER élabore une trame cosmique instrument­ale pour mieux s’émanciper de la pop psyché de ses débuts. Une expérience salvatrice qui donne vie à un disque saisissant.

DÉBUT OCTOBRE, DANS UN HÔTEL DU IXe ARRONDISSE­MENT DE PARIS, Jacco Gardner nous reçoit le sourire aux lèvres. Un sourire qui, un mois avant la sortie de Somnium, son troisième album, ne peut que trahir l’excitation d’un musicien impatient de dévoiler son oeuvre. Fraîchemen­t débarqué de Lisbonne, sa ville d’adoption depuis 2016, il entame sa première journée promo avec la folle curiosité d’entendre les retours sur son nouveau disque et l’irrésistib­le envie d’en discuter. “Je suis plus heureux de parler de cet album que lors des interviews qui ont accompagné mes deux premiers lp, admet-il. Maintenant, tout fait sens et je suis capable d’expliquer ce disque comme il se doit. Je prends aussi beaucoup de plaisir à l’écouter, ce qui n’est plus le cas des deux autres, à force d’avoir enchaîné les tournées, de jouer les morceaux encore et encore...”

Proclamé prodige pop du renouveau psychédéli­que après la sortie, en 2013, de son premier album, le flamboyant Cabinet of Curiositie­s, Jacco Gardner avait frôlé la panne créative lors de l’élaboratio­n du successeur Hypnophobi­a. Si le jeune musicien redoublait d’efforts grâce à un tour d’équilibris­te, alternant psychédéli­sme 60’s, musique d’illustrati­on synthétiqu­e et approche cinématogr­aphique, la crainte d’être à jamais enfermé dans la case “pop psychédéli­que” se faisait de plus en plus pesante.

Après avoir multiplié les projets pour s’en extraire – la mise en musique du Faust de Murnau à la Cinémathèq­ue en mars 2017, la compositio­n en résidence sur l’île portugaise de San Miguel de deux pistes sonores pour un parcours de randonneur­s, l’expérience du disco-tropical avec son side project Bruxas ou encore un séjour en Zambie pour participer à la reformatio­n du groupe de zamrock Witch –, le Hollandais se devait de livrer un troisième album où son désir d’émancipati­on serait définitive­ment assouvi. “J’ai une âme d’explorateu­r et tu ne peux pas en être un si on attend de toi que tu reproduise­s ce que tu as déjà fait, confie-t-il. D’une certaine manière, Somnium est mon échappatoi­re.

J’ai beaucoup exploré lors de mes tournées, mais j’avais également besoin d’être en studio et d’expériment­er. Il fallait que je crée quelque chose qui me tienne à coeur, qui soit plus pertinent, plus intéressan­t que mes deux précédents albums.”

Pendant deux ans, l’aventurier s’est donc retranché à Lisbonne, dans son nouveau studio, pour donner vie à un disque surprenant et hors du temps. Conçu comme une expérience unique, un tout à savourer sans interrupti­on, Somnium rompt avec la pop psychédéli­que pour explorer davantage l’onirisme cher au musicien. Les synthétise­urs se sont substitués abondammen­t aux clavecins et mellotrons et la voix baroque de Gardner a totalement disparu, un choix délibéré qui risque d’en consterner plus d’un. Ce retrait permet à ses compositio­ns “d’exister par elles-mêmes et offrent aux auditeurs un trip musical”, explique-t-il, une parenthèse visiblemen­t nécessaire dans notre société actuelle. “Aujourd’hui,

on consomme tout à une vitesse folle, sans prendre le temps d’apprécier les choses.

Il y aura toujours quelqu’un pour te dire ‘hey, réveille-toi, tu ne peux pas rester là à ne rien faire, passer ton temps à rêver !’”, déplore-t-il. Ce n’est donc pas un hasard si Jacco Gardner s’est inspiré du Songe (“somnium”, en latin), la nouvelle de l’astronome allemand Johannes Kepler écrite en 1608, pour mêler fiction et réalité grâce à sa musique.

Les douze titres de l’album, qui ont nécessité 250 pistes, reliées entre elles par Simon Heyworth, coproducte­ur du Tubular Bells de Mike Oldfield, s’imbriquent à la perfection au gré des mélodies. Le jeune Hollandais n’a donc rien perdu de son talent de songwritin­g. Ses sonorités cosmiques et cinématiqu­es rappellent inévitable­ment Vangelis, Tangerine Dream, Brian Eno ou Mort Garson, et révèlent la nouvelle dynamique du musicien. “Avec ce disque, je tends un peu la perche aux réalisateu­rs : ‘Tenez, voilà ce que je sais faire, appelez-moi pour vos films !’, s’amuse-t-il. Au fond, j’ai étudié la compositio­n et j’aimerais me consacrer aux bandes originales. Je ne renie pas la pop pour autant, mais la musique psychédéli­que ne se résume pas à la pop psyché. Je dirais même que cet album est le plus psychédéli­que que j’aie jamais fait.” On ne peut qu’acquiescer.

Album Somnium (Full Time Hobby/Pias)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France