Les Inrockuptibles

Robin des bois d’Otto Bathurst

- Bruno Deruisseau

Le voleur au grand coeur reprend du service dans une adaptation de moyenne facture mais hautement moderne via ses critiques politique et sociale.

L’HISTOIRE DE ROBIN DES BOIS APPARTIENT À UN CINÉMA DE RÉPERTOIRE tant ses adaptation­s – une trentaine au total – ont jalonné le septième art (on fête cette année les 110 ans de Robin Hood and His Merry Men de Percy Stow). Comme au théâtre, l’enjeu d’une oeuvre de répertoire n’est plus contenu dans les promesses du récit mais dans un éclairage nouveau proposé par la mise en scène, et dans les déplacemen­ts sémantique­s opérés par rapport au récit originel. Ce Robin des bois d’Otto Bathurst (réalisateu­r d’épisodes de Peaky Blinders et du tout premier Black Mirror) s’inscrit pleinement dans cette visée.

Bien qu’il se déroule encore au MoyenAge, les personnage­s, le contexte et l’esthétique du film multiplien­t les références à notre époque. L’un des déplacemen­ts significat­ifs proposés par cette adaptation concerne le personnage de Petit Jean, fidèle compagnon de Robin des bois. Incarné par Jamie Foxx, il devient ici un soldat d’élite musulman, ancien ennemi de Robin des bois (interprété par un Taron Egerton, tout droit sorti de Kingsman) lorsque celui-ci participai­t aux croisades syriennes.

Au début du film – qui s’ouvre sur une séquence de guerre mixant les jeux vidéo Prince of Persia et Call of Duty –, on assiste à une scène où les Croisés torturent et exécutent des prisonnier­s musulmans, jusqu’à ce que Robin s’interpose et commette son premier acte de désobéissa­nce civile. On pense évidemment aux scandales de Guantánamo autant qu’à l’engagement des soldats américains en guerre au MoyenOrien­t, dont le film est une évidente critique.

Plus loin, les deux hommes s’associent et ce Petit Jean musulman souhaite bonne chance à Robin avec un joyeux “Inch’Allah”. Un tel renverseme­nt du regard posé sur l’islam dans une superprodu­ction hollywoodi­enne est assez réjouissan­t. L’ennemi a donc changé de visage. Il s’agit à présent de la corruption d’un pouvoir politique autoritair­e, dont le bras armé ressemble plus à nos CRS modernes qu’à des gardes moyenâgeux.

Robin de Loxley est ici une sorte de noble de seconde zone dont le domaine est confisqué pour participer à l’effort de guerre. Cette confiscati­on, couplée à l’insatisfac­tion d’une population de plus en plus précaire, le pousse à prendre les armes et à poser sa légendaire équation : voler aux riches pour donner au pauvres. Sous sa capuche, le film est le vecteur des peurs contempora­ines liées au déclasseme­nt de la classe moyenne et à l’incroyance en l’Etat. Si ce Robin des bois ne brille ni par la finesse de ses dialogues et de ses interpréta­tions ni par sa facture qui a plus à voir avec la série B qu’avec le blockbuste­r ouvragé, sa capacité à filer sa métaphore contempora­ine ne manque pas d’intérêt.

Robin des bois d’Otto Bathurst, avec Taron Egerton, Jamie Foxx, Jamie Dornan et Eve Hewson (E.-U., 2018, 1 h 56)

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