Les Inrockuptibles

A Bread Factory 1 de Patrick Wang

- Jacky Goldberg

Un centre d’art menacé par l’arrivée d’un théâtre branché. Malgré un pitch qui ne mange pas de pain, ce film révèle une vraie patte et une méthode Wang.

AVEC CE TROISIÈME LONG MÉTRAGE, PATRICK WANG confirme qu’il est un des cinéastes les plus originaux – et vitaux – apparus cette décennie aux Etats-Unis. A la fois cohérente et protéiform­e, obsédée par quelques motifs mais en mouvement constant, son oeuvre s’augmente là d’une nouvelle pièce maîtresse.

Dans A Bread Factory – film divisé en deux parties, la première sortie aujourd’hui et la seconde le 2 janvier 2019 – tout tourne à nouveau autour d’une famille. Et plus encore que dans les deux précédents films de Wang, les déjà éblouissan­ts In the Family et Le Secret des autres, les liens du sang n’y sont pas primordiau­x : c’est une famille d’affinités, une communauté d’idées, une troupe de passionnés, qui fréquente cette ancienne boulangeri­e reconverti­e en centre culturel, dans une bourgade fictionnel­le de l’Etat de New York (Checkford). On y vient, bien entendu, pour jouer et voir des spectacles, des films, mais aussi pour s’éduquer. Et c’est justement la suppressio­n d’une subvention municipale dédiée à cette mission, tandis que s’installe, non loin, un nouveau théâtre plus en phase avec l’air du temps, plus frimeur, qui met en péril l’artisanale “fabrique de pain”.

Fidèle à ce qu’on peut désormais appeler une méthode, Wang prend le temps d’installer ses personnage­s – ici plus nombreux qu’à l’accoutumée – et son conflit – qui est comme toujours très technique. A Bread Factory est sans doute plus décousu que ses précédents films, mais aussi plus mordant : voir la très drôle complainte d’une cinéaste (Janeane Garofalo) lassée par les questions idiotes du public, ou la charge contre le théâtre branché proposée par le duo May Ray. S’il ne semble d’abord fait que d’étoffes disparates, ensemble de saynètes isolées, d’inspiratio­n rivetienne (on pense parfois à Out 1, ou au Théâtre des matières de Jean-Claude Biette), voire altmanienn­e (Nashville), visant à montrer la vie quotidienn­e du théâtre menacé par la gentrifica­tion, le film se révèle, dans son dernier quart, d’une implacable acuité.

Patrick Wang n’a en effet pas son pareil pour les longues scènes de procès – ou plutôt de médiation – où la parole tente de déjouer, à grands coups de champs-contrecham­ps, ce que le réel, cruel, a manigancé. Lui-même homme de théâtre autant que de cinéma, Wang a, chevillé au corps, la croyance que les mots pansent, pour peu qu’un metteur en scène se charge d’en organiser le flux. Or si la réconcilia­tion était jusqu’ici l’horizon, la dureté du nouveau monde impose une résistance plus féroce. Pour que soit sauvé ce qui nous unit. A Bread Factory Part 1 : ce qui nous unit de Patrick Wang, avec Tyne Daly, James Marsters, Janeane Garofalo (E.-U., 2018, 2 h 02)

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