Les Inrockuptibles

Les mots doux

A partir des messages échangés avec Paul Otchakovsk­y-Laurens, EMMELENE LANDON signe un texte magnifique pour dire l’amour qui l’unit à l’éditeur mort en janvier 2018.

- Nelly Kaprièlian

LE GRAND ÉDITEUR PAUL OTCHAKOVSK­Y-LAURENS (fondateur et directeur des éditions P.O.L.) est mort sur une route de Marie-Galante il y a moins d’un an, le 2 janvier 2018. A bord de sa voiture percutée par une autre, se trouvait sa compagne de longue date, l’auteure et artiste Emmelene Landon, qui fut grièvement blessée. Aujourd’hui elle signe un texte non pas de mort mais de vie, non pas de deuil mais d’amour, où elle reconstrui­t, mot après mot comme on dirait pierre après pierre, une cathédrale amoureuse, toute une vie commune, mais serrée en l’espace d’un an.

Des premières vacances d’hiver sur l’île de Marie-Galante, idylliques, en 2016, aux deuxièmes et dernières, qui s’achèvent brutalemen­t sur l’accident de voiture et la perte de l’homme aimé, c’est une année amoureuse que raconte celle que P.O.L. appelait Emmie, à travers la collecte des messages qu’ils se sont adressés l’un à l’autre – toujours délicats, drôles, aimants, désirants – évoquant leurs passions, la lecture pour l’un, la peinture et les cargos pour l’autre.

Là où certains seraient tombés dans la facilité faussement rassurante d’y voir des signes, comme si le destin de Paul était écrit, comme s’il n’aurait pas dû retourner sur cette île, Emmelene Landon évite toute surinterpr­étation. Ce n’est pas “l’année de la pensée magique”, mais l’année d’un amour qui en comptait de nombreuses, des années, et heureuses. Loin des nécrologie­s et des hommages rendus en janvier 2018 après l’annonce de la disparitio­n de P.O.L., c’est comme si sa compagne avait voulu dire, écrire Paul – l’intime, l’aimé, l’aimant. C’est sobre et beau et, pour un peu on oserait, même si c’est un cliché, dire que c’est digne.

En restituant leurs messages, textos ou autres, Emmelene Landon semble avoir souhaité évacuer toute “littératur­e”, et surtout tout romanesque, par peur de faire “joli”, ou “sérieux” ou “oeuvre”, par peur de trahir le réel, ce réel d’un lien qu’il faut inscrire dans le temps pour toujours, donc contre la mort. Car lorsque l’on est la seule personne qui reste d’un couple, le seul témoin de l’amour qui a été, et qui vit encore en soi, alors peut-être que ce qui compte le plus, c’est de témoigner. Comme un devoir de mémoire pour un seul – celui qui n’est plus.

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