Les Inrockuptibles

Connan Mockasin

Le musicien néo-zélandais défie toutes les catégorisa­tions

- TEXTE Azzedine Fall PHOTO Lucile Brizard pour Les Inrockupti­bles

“RIP JASSBUSTER­S.” LE 8 NOVEMBRE, CONNAN MOCKASIN A ENTERRÉ SON NOUVEAU GROUPE DANS UN POST PUBLIÉ SUR INSTAGRAM. Autour de lui, figés comme des statues de cire, ses musiciens prennent la pose sans trop y croire dans des accoutreme­nts désuets qui font écho à la grosse perruque blonde arborée par le NéoZélanda­is. Tous ces mecs ressemblen­t plus au casting d’une vieille série policière est-allemande qu’à un groupe de rock de 2018. L’odeur de fripes et d’ennui traverse presque l’écran du smartphone. A New York, les Jassbuster­s viennent de donner l’un de leurs derniers concerts. Pourtant, pas une once d’émotion ne se dégage de cette photo remplie de regards absents. Sans doute parce que ce groupe n’existe nulle part ailleurs que dans l’imaginaire fertile de son créateur.

Deux semaines plus tôt, c’est à Paris, au Café de la danse, que Connan Mockasin nous accueille au milieu des répétition­s, avant son concert prévu le soir même. Il porte un bas de pyjama en satin trois fois trop large et un peu crade, une barbe de trois jours pas mieux entretenue et des cernes en étages qui trahissent un grand feuilleton d’insomnies. Connan est un jeune papa. Sa famille l’attend au Japon, dans une autre forme de réalité. Très loin du délire fictif incarné par le projet Jassbuster­s : une folie fantasmée par Mockasin il y a vingt ans en compagnie de son meilleur pote de l’époque, alors qu’ils n’étaient encore que deux jeunes kids un peu paumés : “La plupart de nos professeur­s nous paraissaie­nt assez déprimés. Certains avaient monté un groupe de musique, mais ils n’arrivaient pas à trouver la moindre date de concert. La soirée de l’école représenta­it leur seule et unique chance d’avoir un public.

Il y avait quelque chose de presque tragique chez eux qui me saisissait. Avec mon pote Blake et mes frères, on dessinait des comics et on tournait quelques vidéos sans grande prétention. C’est fou de pouvoir concrétise­r ces délires de gosses après autant d’années !”

Plus de vingt ans après, les cahiers d’écolier raturés ont pris la forme d’un véritable album, Jassbuster­s, pensé comme la BO d’un film très, très perché. Cette comédie, intitulée Bostyn ‘n Dobsyn, nous entraîne aux frontières du malaise. On y voit Connan camper le rôle de Bostyn, un professeur lubrique, leader du groupe Jassbuster­s. Blake assure celui de Dobsyn, un élève un peu bêta, suffisamme­nt fasciné par son enseignant pour le laisser aspirer une substance non identifiée à l’aide d’une paille vissée sur son nombril. Tout cela est évidemment très dérangeant, au moins autant que ce nouveau disque impression­ne par sa grâce et sa liberté. Connan Mockasin explique : “Je voulais que l’album soit très simple, à l’abri d’un registre particulie­r. Je voulais que le groupe joue comme de vrais professeur­s qui font leur truc par passion, sans la moindre volonté de reconnaiss­ance.”

Paradoxale­ment, il s’agit sans doute de son disque le plus premier degré. Le seul, en tout cas, enregistré dans de vraies conditions profession­nelles. C’était à Paris, dans les magnifique­s studios Ferber, grâce à un rapport privilégié entretenu avec le réalisateu­r Renaud Letang. Le Néo-Zélandais et le Parisien se sont rencontrés au début des années 2010, lorsque Connan Mockasin travaillai­t sur le morceau Out of Touch pour l’album Stage Whisper de Charlotte Gainsbourg. “Je n’aime pas trop les studios d’enregistre­ment. Caramel, mon album précédent, a été enregistré dans une chambre d’hôtel à Tokyo. Et mon premier disque a été conçu dans ma chambre, chez mes parents, avec un équipement très limité. Pour aller au bout de l’idée de Jassbuster­s, il fallait que l’on enregistre en groupe. Ce que je n’avais encore jamais fait ! Je n’imaginais pas faire ça ailleurs que dans le studio de Renaud.”

Alors que l’indispensa­ble Forever Dolphin Love (2011 – l’un des plus beaux disques de la décennie) sonnait comme le résultat d’innombrabl­es réflexions en termes de compositio­n, le très sexuel Caramel (2013) proposait une suite beaucoup plus spontanée. Enregistré en à peine une semaine, Jassbuster­s est un disque encore plus direct : “Toutes les prises sont live. Il y a beaucoup d’irrégulari­tés, surtout dans les voix. Mais on a pris le parti de tout laisser en l’état. On tenait à ce que les chansons soient vivantes et habitées. J’ai toujours aimé l’idée de garder les erreurs et les accrocs. Et puis j’aime les albums courts, qui s’écoutent d’une traite.”

Si Connan Mockasin était un rappeur Soundcloud, les principes de liberté et d’immédiatet­é qui portent Jassbuster­s pourraient lui donner une valeur de mixtape. Les paroles ont été écrites directemen­t en studio, à l’instinct, quelques minutes avant les prises de son. Dès le premier morceau, l’obsession de Connan pour les boucles et les répétition­s trouve un terrain de jeu idéal sur l’insaisissa­ble Charlotte’s Thong et ses neuf minutes de progressio­n fascinante. Le titre est évidemment un clin d’oeil à peine voilé à Charlotte Gainsbourg, pour laquelle Mockasin a donc écrit avant de l’accompagne­r sur scène lors de sa tournée de 2012 : “On a composé d’autres chansons ensemble pour son dernier album, produit par Sebastian. On s’est enfermés pendant deux mois, j’aimais beaucoup les morceaux, mais je crois que le label a moins apprécié”, regrette-t-il dans un sourire presque embarrassé. “Charlotte’s Thong porte peut-être le nom de Charlotte Gainsbourg… En fait, on s’est amusés à donner des titres provisoire­s aux chansons et puis on les a gardés. Le morceau qui s’appelle Momo’s fait référence à un restaurant situé pas très loin d’ici où on prenait souvent à bouffer pendant l’enregistre­ment.

Je crois qu’on va en recommande­r ce soir !” Si la quasi-intégralit­é du disque a été enregistré­e à Paris, Connan s’est tourné vers son ancien voisin pour améliorer la fameuse ballade fragile qui porte le nom de l’un de ses restos préférés. La voix de James Blake habille ainsi le déchirant Momo’s, finalisé du temps où Mockasin habitait encore Los Angeles.

Installé à Tokyo depuis une grosse année, le musicien n’a pas hésité quand il a fallu suivre sa petite amie : “Ma copine est japonaise et elle avait le mal du pays. Je n’ai pas été difficile à convaincre ! J’adore Tokyo, je trouve que c’est l’une des villes les plus relaxantes au monde. Je n’ai toujours pas fait de concert là-bas, mais j’ai des amis dont la carrière marche bien sur place :

Mac DeMarco et MGMT intéressen­t beaucoup les Japonais. Il faut que je trouve un moyen de jouer à Tokyo rapidement !”

Quand on lui confie que le même Mac DeMarco ne tarissait pas d’éloges sur son jeu de guitare lors de notre dernière rencontre, Connan Mockasin semble d’abord gêné, avant d’admettre qu’il n’est peut-être pas étranger au tsunami d’effets chorus qui déferle sur la plupart des sons indie des années 2010 : “C’est vrai que Mac m’a déjà dit qu’il s’était un peu inspiré de ce que je faisais. Mais je suis beaucoup plus confronté au phénomène inverse. Dans les festivals, plein de gens viennent me voir pour me dire que je copie le style de Mac DeMarco (rires) ! C’est bizarre, cette grosse vague de chorus sur les guitares. J’ai un peu arrêté d’utiliser cet effet d’ailleurs. Pour le nouveau disque je voulais un son plus naturel. Mais c’est clair que Mac a rendu ce son populaire.”

La petite merveille du disque s’écoute sur la troisième piste, sans chorus donc. Le morceau Last Night démarre par un bruit de porte qui grince. La voix de Connan s’élève en arrière-plan jusqu’à gagner soudaineme­nt en intensité lorsqu’il s’exclame : “Last night, you blew me away/But you took your time/Patience is a lovely game”. Magique ! Au milieu des notes de guitare discrètes et des choeurs malades qu’il assure lui-même des graves aux aigus, Mockasin semble s’exciter en cadence tout au long du slow le plus toxique de l’année.

Passionné de peinture et de dessin depuis l’enfance, Connan ne s’est jamais senti à l’aise dans le milieu de la musique. Il limite les interviews au maximum et répète détester “au plus haut point” l’industrie du disque. “Je n’ai jamais voulu faire de la musique à plein temps. J’ai publié mon premier disque sous la pression de ma mère (rires). Elle insistait pour que j’aille au bout de ma démarche. Forever Dolphin Love est sorti et il n’a marché qu’en France au début ! Et puis tout s’est enchaîné…”

Connan Mockasin se souvient avoir reçu une guitare pour la première fois vers l’âge de 6 ou 7 ans. Un cadeau de ses parents pour son grand frère, finalement détourné à son profit.

“A 11 ans, j’ai commencé à être obsédé par cet instrument. J’en jouais dès que possible et à côté j’écoutais Jimi Hendrix et Michael Jackson. Aujourd’hui, je ne pratique plus du tout. Sauf lorsque je suis sur scène ou en studio, bien sûr. Maintenant que j’ai une petite fille, peut-être que je jouerai un peu plus. Pour elle ! Mais je tiens à conserver l’idée de me surprendre moi-même. Il faut que la musique reste une redécouver­te, à chaque fois, sinon ça ne sert plus à rien.”

“Je n’ai jamais voulu faire de la musique à plein temps. J’ai publié mon premier disque sous la pression de ma mère”

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