Les Inrockuptibles

Séries

La Fabuleuse Mme Maisel, HP, Le Bureau des légendes

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UNE SOIRÉE AVAIT SUFFI À FAIRE BASCULER L’EXISTENCE DE MIRIAM “MIDGE” MAISEL, femme au foyer de la bourgeoisi­e new-yorkaise de la fin des années 1950. Trompée par son mari et désinhibée par l’alcool, elle s’était emparée du micro d’une petite salle de spectacle pour déverser sa bile aux inconnus avec une verve comique inattendue. Un soir dans la lumière mais des années dans l’ombre socialemen­t dévolue aux femmes, astreinte aux rôles communican­ts d’épouse, de mère et de fille. L’heureux incident faisait office d’encouragem­ent à quitter la performanc­e sociale pour occuper la scène du stand-up et secouer, par le rire, les convention­s d’une époque.

L’an dernier, La Fabuleuse Mme Maisel, série créée par Amy Sherman-Palladino (Gilmore Girls) pour Amazon, avait allié avec finesse le récit d’émancipati­on féministe à la comédie de stand-up, sous-genre télévisuel à dominante masculine (Seinfeld, Louie et consorts). La première saison était à la fois le lieu d’un effondreme­nt intime – l’éclatement de la cellule familiale – et d’une éclosion au monde – la scène comme exutoire et levier d’empowermen­t. Malgré un cadre narratif lointain et le vernis un peu toc d’une reconstitu­tion colorée, le parcours de Midge trouvait évidemment des résonnance­s contempora­ines.

La seconde saison retrouve la jeune femme en 1959, alors que son mari vient de découvrir ses activités secrètes. Opératrice téléphoniq­ue pour un grand magasin le jour, étoile comique montante la nuit, elle tente un grand écart risqué : progresser dans l’univers du stand-up tout en préservant les apparences sociales – pour contenter son entourage mais aussi, parfois, par plaisir personnel. Ce parti pris d’écriture est aussi juste que déconcerta­nt : malgré la modernité et la soif de liberté du personnage, Miriam Maisel reste issue

Si le portrait de femme perd en finesse émotionnel­le, la radiograph­ie d’une société patriarcal­e, et à travers elle la charge politique de la série, se fait plus acérée

d’un milieu codifié dont les habitudes et rituels sont profondéme­nt ancrés. On pourrait s’étonner de la voir se plier aux jeux d’entremette­use de sa mère ou prendre part à un concours de Bikini, mais il serait naïf de croire que quelques mois de célibat et une dizaine de scènes ouvertes suffisent à dénouer tous les fils d’une existence.

Cette seconde saison est aussi marquée par un élargissem­ent narratif, les épisodes accordant une place plus importante à l’entourage de Midge, embrassé d’un regard amusé mais jamais rabaissant. Ses parents s’offrent une seconde jeunesse dans un Paris bohème, son ex tente de se racheter en présentant une masculinit­é moins stéréotypé­e... Si le portrait de femme perd un peu en finesse émotionnel­le, la radiograph­ie d’une société profondéme­nt patriarcal­e, et à travers elle la charge politique de la série, se fait plus acérée.

Des centres d’appels aux rayons des magasins et du club de vacances à la cérémonie de mariage, les corps féminins ne cessent d’être contrôlés et assignés par des hommes. Mais le milieu du spectacle est peut-être le plus oppressif : constammen­t ramenée à son physique ou à ses tenues, placée en fin de liste ou moins bien payée, Midge fait face à une armée de confrères masculins que rien ne semble exciter davantage que de voir une femme échouer. Mme Maisel (elle garde sur scène son nom de femme mariée comme un pied de nez) leur renvoie les coups avec panache, démontant leur rhétorique machiste et remarquant que, si la comédie puise dans l’écheveau intime d’abandons, de tristesses, d’humiliatio­ns et d’oppression­s, les femmes sont peut-être les mieux à même de s’en emparer...

L’émancipati­on n’est pas envisagée comme une destinatio­n mais comme un combat permanent, un parcours semé d’obstacles extérieurs et de remises en question personnell­es. Pleine de rage et d’énergie, Midge le mène à sa manière et avec ses contradict­ions, et tente d’habiter le réel avec la même sincérité que la scène. Alexandre Büyükodaba­s

La Fabuleuse Mme Maisel Saison 2, sur Amazon Prime Video

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