Les Inrockuptibles

Scènes

Joueurs, Mao II, Les Noms de Don DeLillo par Julien Gosselin, Les Terrains vagues de Pauline Haudepin, Sombre rivière de Lazare

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DÉCRIRE L’ACTE DE LIRE. D’ABORD, ON A AFFAIRE À UN OBJET physique, fermé. On l’ouvre et on découvre les premiers mots. On s’y plonge, le temps s’échappe et se dilate. L’oeil décrypte les signes qui courent sur la page, l’esprit se meut, met en images le récit, explore un paysage mental, s’attache aux personnage­s, les visualise, ressent des émotions diverses, générées par le contenu du récit et par les mots qui les racontent. L’expérience produite au cours des neuf heures “marathones­ques” que dure le spectacle de Julien Gosselin, à partir de trois romans de Don DeLillo – Joueurs, Mao II, Les Noms –, est de cet ordre. C’est un acte, pour le public comme pour les acteurs, éreintant et enthousias­mant.

Des Particules élémentair­es de Michel Houellebec­q à 2666 de Roberto Bolaño – respective­ment adaptés par Julien Gosselin en 2013 et 2016 –, on sait le lien fusionnel qu’entretient le metteur en scène avec la littératur­e. Et son engouement pour une expérience théâtrale au long cours, où l’on ne compte plus les heures pour se laisser submerger par le flux incessant d’une machinerie théâtrale qui use de tous ses artifices – de la lumière à la musique live, en passant par la vidéo – pour accompagne­r la performanc­e d’acteurs soudés par le désir et la croyance en un théâtre de groupe qui vise au travail sur le long terme et ne s’est plus quitté depuis leur sortie de l’école du Théâtre du Nord de Lille.

Le choix des livres de Don DeLillo qui forment l’armature du spectacle n’est pas neutre. Tous évoquent, à leur façon, trois décennies de terrorisme aux Etats-Unis, et rejoignent les thèmes sur lesquels Julien Gosselin revient toujours : “La littératur­e, la violence, la façon dont un être humain est victime des mouvements souterrain­s que produisent l’Histoire ou la société qui l’entoure.

Don DeLillo agit comme un catalyseur de ces thèmes.”

Joueurs, où l’on suit le parcours d’un homme, du naufrage de son couple à la violence pure d’un terrorisme d’ultragauch­e, est d’abord joué derrière le plateau fermé, obturé, sur lequel trois écrans nous restituent le tournage de l’action dans des images au grain brouillé et aux couleurs passées. L’écriture cinématogr­aphique de DeLillo devient matière spectacula­ire et convoque le cinéma de Jean-Luc Godard, de

La Chinoise à Adieu au langage.

Le langage est bien la grande affaire de cette trilogie, arme tranchante mais dépassée, occultée par le passage à l’acte du terrorisme. Dans Mao II, où les terroriste­s ont pris la place des écrivains, comme dans Les Noms, où une secte tue des personnes en fonction de leurs initiales. L’archaïsme du langage et de la violence est pris en charge par les acteurs avec une vigueur éblouissan­te. Jusqu’au paroxysme de cette glossolali­e où le langage échappe au sens, à la pensée articulée, pour devenir pure profératio­n, adresse au néant et retour au chaos originel. Fabienne Arvers

Joueurs, Mao II, Les Noms D’après Don DeLillo, mise en scène Julien Gosselin, avec la compagnie Si vous pouviez lécher mon coeur. Jusqu’au 22 décembre, Ateliers Berthier – Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris XVIIe. En tournée juqu’au 30 mars 2019 Lire entretien avec Julien Gosselin p. 38

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