Les Inrockuptibles

Arielle Dombasle

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Récit du tournage fou de son quatrième film

“ALIEN CRYSTAL PALACE”. C’EST LE TITRE DU QUATRIÈME LONG MÉTRAGE D’ARIELLE DOMBASLE. C’est Nicolas Ker qui l’a trouvé, un soir, “sur internet grâce à un générateur”.

“Je tapais des trucs au hasard, j’ai vu ça et je me suis dit : c’est bon, c’est ça le titre”, explique Ker derrière ses lunettes de soleil. Dans un café du IIIe arrondisse­ment de Paris, en terrasse, Arielle et Nicolas sont assis côte à côte. Elle boit un thé, lui un Picon bière. Depuis 2014 et une rencontre au Cirque d’Hiver pour un concert de charité, les deux sont inséparabl­es. En octobre 2016, ils ont sorti un premier album conjoint, La Rivière Atlantique.

Et quasiment au même moment, ils ont commencé à bosser sur un projet de film.

Projet, le mot est faible : il s’agit plutôt, vous allez le voir, d’une épopée. “On a commencé à griffonner quelques idées sur la nappe d’un restaurant chinois. L’histoire part des textes des chansons que Nicolas a écrites pour La Rivière Atlantique”, explique Arielle Dombasle. L’histoire, elle, a mis du temps à s’écrire. Au départ, il y a une ébauche de scénario sur lequel Ker a travaillé avec un ami à lui, Florian Bernas, urgentiste et grand fan de rock.

Nicolas Ker : “A cause de cette histoire de script, j’étais ivre de rage pendant tout le tournage” Arielle Dombasle : “Nicolas, vous étiez surtout ivre tout court”

Arielle Dombasle aime plusieurs aspects du scénario, mais veut aller plus loin. Elle se greffe dessus, mais les sensibilit­és s’opposent. Autour de l’histoire, le combat fait rage. Gentiment rage, les deux s’adorent. Pour avancer, le duo appelle comme arbitre le grand Jacques Fieschi, scénariste pour Pialat, Jacquot et Assayas, entre autres. Objectif : accomoder les liens réels entre Dolorès Rivers et Nicolas Atlante, entendez Dombasle et Ker, les héros du film. Fieschi, à coups de maïeutique discrète, parvient à trouver un deal, mais les deux partent tourner sans avoir véritablem­ent signé quelque accord de paix que ce soit. Pourtant l’essentiel est là : raconter en creux, dans Alien Crystal Palace, le coup de foudre artistique entre deux sensibilit­és que tout pourrait opposer mais qui s’entrechoqu­ent et se complètent entre lumière divine et chaos. C’est ce que dans le film Ker et Dombasle appellent “l’androgyne”, mettant cette phrase dans la bouche de la géniale Joana Preiss : “L’androgyne, c’est la complément­arité d’un homme et d’une femme, qui sont très différents mais qui ont la même force.” Tout est dit.

A eux seuls, ces quelques mots résument l’aventure qui rassemble Arielle Dombasle et Nicolas Ker dans leur art. Le film sera tourné à Paris, Venise et Tanger, avec un casting proprement hallucinan­t, regardez plutôt : Arielle Dombasle et Ker donc, mais aussi Michel Fau, Joséphine de La Baume, Asia Argento, Christian Louboutin, Thaddaeus Ropac, Zoé Le Ber, Vincent Darré, Ali Mahdavi, Theo Hakola, Yaz Bukey, Joana Preiss donc, et même l’immense Jean-Pierre Léaud. Tous vont participer à cette aventure cinématogr­aphique et rock qui sera sur les écrans le 23 janvier 2019, et à laquelle nous avons eu la chance de goûter dès l’été dernier, invité que nous fûmes sur le tournage.

C’était dans le IIIe arrondisse­ment, déjà, dans un temple rosicrucie­n. Arielle Dombasle explique calmement son rôle à Michel Fau, alias Hambourg, sorte de gardien pro-actif du subconscie­nt, entouré de filles sublimes aux seins nus. Nicolas Ker fait les cent pas, une bouteille de whisky à la main. Joana Preiss porte une perruque orange. Et hop, “ça tourne !” A peine trois répliques prononcées, Ker se met à hurler et interrompt les acteurs : “Non, non, non, c’est pas comme ça, c’est pas ça le script !” Arielle Dombasle, d’un calme absolu, s’avance vers lui pour discuter, elle le calme. On reprend même si Ker n’est pas 100 % OK sur le script. “Vraiment, à cause de cette histoire de script, j’étais ivre de rage pendant tout le tournage”, explique Nicolas Ker. Arielle Dombasle : “Nicolas, vous étiez surtout ivre tout court.”

Ker explose de rire. La complicité entre les deux est phénoménal­e. Vincent Darré, grand ami d’Arielle, en témoigne : “Arielle a une patience d’ange avec lui. Nicolas n’est pas facile, il vit dans une certaine urgence qui correspond­ait d’ailleurs parfaiteme­nt à l’urgence qui se dégageait du tournage, car c’est un film qui s’est fait sans moyens. Nicolas, il y a des jours où on l’adorait, et des jours où on le détestait, mais grâce à Arielle tout passait, elle est d’une telle bienveilla­nce avec lui. A un moment, nous tournions une scène devant une mosquée à Tanger, et il s’est mis à hurler ce qui a déclenché une semi-émeute. Et là heureuseme­nt encore, c’est Arielle qui a sauvé l’histoire.”

Saoul et survolté tout au long du tournage, Ker, en plus de tenir le premier rôle du film avec Arielle Dombasle, en devient également la mascotte. “A un moment j’ai regardé l’équipe technique et j’ai dit : j’ai compris, ce film, c’est comme Disintegra­tion de The Cure, c’est ça qu’on doit faire. Et je sais pas pourquoi, les gens ont adhéré à ce truc.” Arielle Dombasle acquiesce entre deux gorgées de thé. Sur le tournage, elle a laissé Ker s’exprimer à la fois comme acteur et comme métronome, gérant ses colères, ses absences et ses coups de génie au même niveau. Asia Argento confirme l’impact du gars Ker : “Nicolas est formidable, j’ai adoré tourner avec lui. Il est d’une sensibilit­é phénoménal­e. Entre deux prises, il m’a expliqué un truc sur moi, sur la façon dont mon père m’utilisait dans ses films. Il connaît très bien le cinéma de mon père, et ce qu’il m’a dit a débloqué beaucoup de choses chez moi.” Joséphine de La Baume ajoute :

“Il est très éloquent, il est très bon dans l’improvisat­ion. Il est très rock’n’roll, très compliqué, faut être en forme, mais c’était plutôt amusant de tourner avec lui. Nicolas sait donner une force incroyable à un personnage.” Arielle Dombasle : “J’ai tout de suite su que Nicolas incarnait l’évidence des acteurs : il ne joue pas, il est.”

Chaque matin sur le tournage, à Paris, Tanger ou Venise, Ker déboule aux alentours de 7 ou 8 heures. Dans un état proche de l’Ohio. Mais c’est le film avant tout, il est présent

comme jamais. “J’écrivais une biographie pour chaque figurant, pour que tout le monde se sente dans le film. D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas de figurants, il n’y a que des acteurs muets”, dit-il sous le regard complice d’Arielle Dombasle. Et qu’en pense le Nicolas Ker acteur ? “Moi, je m’en foutais totalement, je défendais le script. Le cinoche ? C’est bien payé, et moi j’ai toujours besoin de thunes. Moi, acteur, que ce soit Plus belle la vie ou Les Charlots au stade olympique, je dis oui !” Arielle Dombasle : “Au stade olympique, ça serait compliqué pour vous Nicolas, non ?” Nouvel éclat de rire.

Nicolas Ker reprend : “Je sais jusqu’où je peux aller, alors j’avais dit à l’assistant réal, si jamais un jour je pète un câble et que je vais trop loin, le mot de code c’est swordfish, espadon. A un moment donné, dans le hall du Raphaël, je me suis mis à faire n’importe quoi. Il est venu, il m’a pris dans un couloir et il m’a dit ‘espadon, mec’. Et je me suis calmé direct.” Arielle Dombasle : “Oui, mais en même temps tout le monde avait pris de la drogue dans les couloirs de l’hôtel et les caméras avaient tout filmé : sniffage de vraie coke ! La police est venue avec des martinets, on a eu chaud !” Ker : “Mais non Arielle, c’était du sucre en poudre.” Elle fait la moue. Arielle Dombasle est l’ange gardien de Nicolas Ker, et il le sait. Il la regarde avec un respect immense. Elle l’a tiré de bien des situations.“Je sais que je suis dur, mais il y a cette grâce chez Arielle qui parvient à faire tenir presque n’importe quoi ensemble. Des gens comme moi, notamment. Sur le tournage, elle a été admirable de patience, parce qu’elle savait exactement où elle allait.” Asia Argento ne dit pas autre chose : “Un tournage d’Arielle, c’est cadré mais aussi extrêmemen­t libre. J’aime de moins en moins tourner, mais pour elle je dirai toujours oui, ses films sont comme des aventures.” Michel Fau nourrit l’éloge : “Arielle est unique. C’est la seule femme au monde qui peut vous parler d’Yvonne Printemps et de Nietzsche dans la même phrase. Elle est extraordin­aire. Elle a fait ce film avec des bouts de ficelle. Je me rappelle que quand on a tourné les scènes dans le temple rosicrucie­n, elle m’a fait une loge de fortune dans un couloir avec une chaise qu’elle a trouvée. Elle passait sans cesse devant moi pour aller chercher des trucs derrière un frigo qui n’était pas loin. Je me disais : mais qu’est-ce qu’elle fout ? C’est juste qu’elle avait mis ses affaires derrière le frigo, parce qu’il n’y avait pas d’autres endroits. Arielle, c’est la débrouille.” Theo Hakola, ancien tenancier d’Orchestre Rouge et de Passion Fodder, parfait dans un rôle de flic : “Je me souviens du tournage à Tanger, dans la rue. On a tourné partout dans la ville, des trucs très durs à faire, il y avait des bandes partout autour. Elle a une énergie folle, Arielle. Parfois je ne savais pas trop quel était mon rôle, ni ce que je faisais, mais je l’aurais suivie partout.”

C’est cette énergie qui fait d’Alien Crystal Palace un objet aussi fascinant que déroutant et attachant. Un peu giallo, un peu thriller, un peu film érotique et beaucoup film métaphysiq­ue, c’est un objet étonnant que Christian Louboutin, excellent dans le film, juge plus “destiné aux galeries d’art qu’au cinéma”.

Il ajoute : “Ce film est une performanc­e, c’est ce qui en fait la force.” C’est aussi une oeuvre déjà culte, qui divisera, mais qui montre encore à quel point la complicité entre l’ancien Poni Hoax Nicolas Ker et l’égérie rohmérienn­e a fait mouche, une nouvelle fois. Après un disque, et désormais un film, où s’arrêteront donc les aventures de Ker et Dombasle ? Car, Alien Crystal Palace est là pour le confirmer, il s’agit bien d’aventures. C’est assez rare pour être signalé. Alien Crystal Palace d’Arielle Dombasle, avec Nicolas Ker, Michel Fau, Joséphine de La Baume, Asia Argento, Christian Louboutin, Thaddaeus Ropac, Zoé Le Ber, Vincent Darré, Ali Mahdavi, Theo Hakola, Yaz Bukey, Joana Preiss, Jean-Pierre Léaud.

Sortie le 23 janvier 2019

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 ??  ?? Arielle Dombasle à la galerie Semiose, à Paris, allongée sur une oeuvre de l’exposition­Steve & the Girls, visible jusqu’au 22 décembre
Arielle Dombasle à la galerie Semiose, à Paris, allongée sur une oeuvre de l’exposition­Steve & the Girls, visible jusqu’au 22 décembre
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Nicolas Ker, lors du tournage

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