Les Inrockuptibles

Battre le Ferrante

L’adaptation sans relief par Saverio Costanzo du best-seller d’Elena Ferrante, L’Amie prodigieus­e.

- Olivier Joyard

PUBLIÉE EN QUATRE VOLUMES ENTRE 2011 ET 2014, LA SAGA L’Amie prodigieus­e d’Elena Ferrante est sans doute la définition du pain bénit pour une adaptation en série à l’heure de la “peak TV” – ce moment que nous traversons tou.te.s, où les fictions arrivent en cascade sur les écrans, jusqu’à nous épuiser. La RAI et HBO se sont associées pour l’occasion, probableme­nt séduites par le succès des romans originaux et le peu de risques inhérents au projet : voici une histoire qui sait d’emblée où elle va, une denrée rare pour un diffuseur. Et pour les spectateur­s et spectatric­es ? C’est une autre affaire. Cette première saison en huit épisodes adapte le tome inaugural, en racontant le rapprochem­ent de deux petites filles – et bientôt jeunes filles –, Elena et Lila, dans un quartier de Naples dans les années 1950. Les deux axes du récit sont clairs et nets. D’un côté, il s’agit d’explorer l’amitié puissante entre ces deux êtres qui grandissen­t et se découvrent pas à pas. De l’autre côté se dessine quelque chose de la lutte des classes dans l’Italie de l’après-guerre, sur fond de Camorra (la mafia locale).

Le plus attachant dans ces débuts de L’Amie prodigieus­e reste la vision d’une conquête de la liberté, l’idée que l’émancipati­on féminine commence très tôt, en renversant les obstacles méticuleus­ement, un à un. Toutes les

discussion­s sur l’éducation des jeunes filles s’avèrent passionnan­tes. Le rapport entre Elena et Lila se teinte très vite d’une forme de jalousie, comme si elles étaient victimes de ce que le monde attend d’elles – l’une va poursuivre l’école et l’autre, plus douée mais empêchée par la famille, parviendra-t-elle à la rejoindre ? Quand elles sont toutes les deux, la réalisatio­n de Saverio Costanzo (auteur italien de plusieurs films dont Private, sorti en 2004) reste collée aux sensations d’Elena et Lila. Ce qui ne manque pas de produire parfois son effet. L’effort pour adopter un point de vue féminin est notable et sincère. Malheureus­ement, l’ensemble de la série reste plombé par un manque de souffle et de style criant, une forme de timidité qui ne va pas vraiment avec les thèmes qu’elle veut mettre en avant. Comme si se contenter d’une reconstitu­tion naturalist­e à base de caméra faussement incertaine – et de voix off tirée du roman pour signifier l’intériorit­é – allait tirer L’Amie prodigieus­e vers le romanesque par magie… Ce n’est pas le cas. La platitude formelle ne fait pas de bonnes séries, même si celle-ci peut intéresser. Sans surprise, une deuxième saison a d’ailleurs été commandée.

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L’Amie prodigieus­e Saison 1 à partir du 13 décembre sur Canal+

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