La bulle éclate
Révélateur de nombreux auteurs, le magazine PSIKOPAT fera paraître son dernier numéro en fin d’année. C’est tout un pan de la presse BD qui disparaît.
DANS SON PREMIER NUMÉRO, EN 1982, “LE PETIT PSIKOPAT ILLUSTRÉ” annonçait “dans 100 ans, on sera tous morts”. Trentesept ans après, la prédiction s’avère juste pour le magazine lui-même. A la fin de l’année, le dernier numéro de Psikopat sortira en kiosques. “Ça fait quelques années que ça couvait. Ce n’est pas, à proprement parler un événement qui nous a poussé à prendre cette décision, c’est une grosse fatigue”, raconte Mélaka, pilier du journal depuis vingt ans et fille du fondateur Carali.
Après avoir publié dans Pif, Actuel et Hara Kiri, le dessinateur décidait de lancer son propre magazine au moment où
Charlie Hebdo, lui, cessait de paraître. Dans les premiers numéros, on retrouve donc des transfuges : Willem, Topor ou Gébé. Le magazine se rapprochera ensuite de plusieurs auteurs partagés avec Fluide Glacial comme Goossens, Hugot, Binet, Léandri ou Edika (le frère de Carali). Au début des années 1990, Psikopat accueille Lewis Trondheim, Jean-Christophe Menu, Mattt Konture et Killoffer... qui formeront ensuite l’Association, bouleversant les codes de la bande dessinée.
La liste semble sans fin : Wolinski, Robert Crumb, Luz, Lefred-Thouron, Kamagurka, Bouzard, Gudule, Schlingo rempliront les pages du magazine, toujours en noir et blanc. “Psikopat, c’était un espace de liberté et de découvertes, explique Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial de 2012 à novembre dernier. Beaucoup d’auteurs ont été publiés pour la première fois grâce à Carali, comme Lewis Trondheim. Il avait une politique de recherche et d’ouverture qui n’avait pas d’équivalent dans la presse BD.”
“Le Psiko sera toujours ouvert aux nouveaux dessinateurs qui se cherchent encore, et tant pis pour ceux qui trouvent cette démarche ‘amateur’, je les emmerde grave”, expliquait Carali il y a dix ans, sur le site BDgest. Le décès programmé de Psikopat élimine donc une opportunité de publication pour les jeunes auteurs. “Cette disparition s’ajoute à celles de Hara Kiri, A suivre, Métal Hurlant, Tintin, Pilote… C’est la fin d’une époque, regrette Yan Lindingre, les Vuillemin ou les Reiser d’aujourd’hui, où peuvent-ils se faire publier ? Les magazines BD, c’est comme les restaurants en centre-ville, il faut qu’il y en ait plusieurs, ça montre qu’il y a de l’animation, de la vie”.
Mais voilà, comme l’explique Mélaka,
“il y a la crise de la presse, qui est en soi une source de stress quotidien, la lutte permanente pour être correctement diffusé… On a préféré arrêter avant de s’ennuyer. Un journal comme le Psiko, il faut se marrer à le faire, sinon, ça se sent…”. Une usure qui n’effacera pas les souvenirs forts de l’aventure Psikopat comme “le plaisir de lire les BD et textes de nos auteurs avant tout le monde” et les “grosses nouba des bouclages au début des années 2000, qui se terminaient en boeuf musical jusque tard dans la nuit…”.