Les Inrockuptibles

The show must go on

L’artiste protéiform­e UNGLEE transforme une galerie en scène pour un “show” à base de photos et de vidéos. Un hommage aux stars de cinéma qui, via les artifices, visent l’éternité.

- Ingrid Luquet-Gad

UNE JOLIE FEMME L’EST-ELLE MOINS SOUS LES COUCHES DE FARD ? Unglee répondrait : peu importe, tant qu’elle est sincère. Et ajouterait que, lui-même, l’est parfois, la jolie femme en question. “Ce qui m’a toujours intéressé dans la vie, le travail ou le théâtre, c’est lorsque l’artifice est plus proche de la vérité que la réalité elle-même”, glisse-t-il d’une voix douce. A la galerie Christophe Gaillard, c’est donc lui, Unglee, dont le regard soutient le nôtre de toutes parts. Ces créatures qui désormais peuplent les murs du lieu d’exposition, on jurerait les avoir déjà aperçues quelque part. Dans un film peut-être ? Impossible cependant de se rappeler lequel. Car ces visages sont des stéréotype­s, ils sont de tous les films. “Avec l’aide d’une maquilleus­e de cinéma, je me suis efforcé d’incarner des stars du septième art. Je voulais saisir la période qui survient à la fin de leur vie. Le point d’attente et d’espoir du prochain rôle qui relancera leur carrière. J’ai surtout travaillé la pose et l’expression du regard, l’émotion plus que l’image.”

Un travail, explique l’artiste, qui ne concerne pas tant le genre que le temps. Le temps qui passe mais surtout le temps suspendu. Dans les années 1990 déjà, Unglee se fait remarquer par des autoportra­its qui ne visent pas tant à un surplus de présence qu’à l’exact contraire : l’occupation de l’espace médiatique par l’absence. Avec Disparitio­ns, il construit son mythe à rebours et disperse au gré des revues d’art une quarantain­e de nécrologie­s fictives déplorant sa perte, celle d’un cinéaste de talent et d’un photograph­e raide dingue de tulipes. Il faut croire que les fleurs siéent aux amoureux de l’art total, puisque l’on jurerait à la galerie Christophe Gaillard sentir sur la nuque le souffle encore chaud de Rrose Sélavy, l’alter ego féminin de Marcel Duchamp.

Unglee abolit le temps présent mais il cultive néanmoins une époque bien précise. Réalisateu­r de films expériment­aux, ce sont les eighties qui le consacrero­nt dans l’éclat des néons et des reflets argentés des bottines de Pascale Ogier (lire p. 62-63 – ndlr). Il y a deux ans, le Centre Pompidou présentait son film Radio-serpent au sein d’une expo dédiée aux années 1980. La comédienne y fait ses premiers pas, quatre ans avant que Rohmer ne la fasse danser la nuit lorsque la lune est pleine. Chez Unglee, elle apparaît aux côtés d’une autre icône de l’époque, Isabelle Weingarten. Actrice fétiche de Robert Bresson, Jean Eustache ou Wim Wenders, c’est elle que l’on retrouve aujourd’hui dans l’exposition Comme un désir d’éternité, le show. Ou du moins est-ce sa voix que l’on entend épouser les arabesques du danseur de sa nouvelle vidéo, Oh oui !.

Sur une scène, de club plutôt que de théâtre, le danseur Alexandre Bibia ondule dans la moiteur iridescent­e des spots. Si Pascale Ogier demeurera à jamais l’ex-fan des eighties, Isabelle Weingarten, elle, porte dans son timbre élimé et sa diction détachée le poids des ans. Et si les actrices sont éternelles, c’est que sous les fards et les poses, elles s’entraînent à disparaîtr­e mieux que quiconque.

Comme un désir d’éternité, le show Jusqu’au 19 janvier 2019, galerie Christophe Gaillard, Paris IIIe

 ??  ?? Dans la vidéo Oh oui !, Alexandre Bibia ondule sur la voix de l’actrice iconique Isabelle Weingarten
Dans la vidéo Oh oui !, Alexandre Bibia ondule sur la voix de l’actrice iconique Isabelle Weingarten

Newspapers in French

Newspapers from France