Les Inrockuptibles

Scènes

En montant L’Ecole des femmes à l’heure de MeToo, STÉPHANE BRAUNSCHWE­IG offre à voir une réjouissan­te entreprise de démolition de la domination et de la violence masculine.

- Fabienne Arvers

L’Ecole des femmes par Stéphane Braunschwe­ig, Conversati­on de Mohamed El Khatib et Alain Cavalier

C’EST ÉNORME. DE TOUTES LES PIÈCES ÉCRITES PAR MOLIÈRE, L’Ecole des femmes est celle qui se moque le plus de la véracité de la situation de départ pour entrer de plain-pied dans le délire de domination d’un homme et suivre avec délectatio­n l’effondreme­nt de tout son beau projet. Juchés sur des vélos de salle de fitness, en tenue de sport, Arnolphe (Claude Duparfait, plus que parfait dans sa sautillant­e contrariét­é qui ira grandissan­te) expose à son ami Chrysalde (Assane Timbo, d’un scepticism­e aussi élégant qu’ironique) ce qui garantit la viabilité d’un mariage : une femme jolie tout en étant assez sotte pour ne jamais s’opposer à son époux.

L’animal rare étant dur à trouver, Arnolphe a pris les devants en monnayant, dix ans plus tôt, la garde d’une petite fille à une femme de peu pour l’enfermer chez lui et la modeler à sa guise. L’enfant a grandi et sans doute voit-elle Arnolphe comme un père. Mais lui, de retour d’un voyage, estime qu’il est grand temps de l’épouser et qu’avec toutes ses précaution­s, Agnès (magnifique Suzanne Aubert, délicieuse­ment rusée et parfaiteme­nt innocente) sera l’épouse idéale dont il pourra s’enorgueill­ir…

En somme, voilà un homme qui a séquestré une enfant, l’a privée d’éducation et de rapports sociaux, et s’estime dans son bon droit en lui révélant

que désormais, elle sera sa femme. Le problème avec son entreprise de domination, c’est qu’il a oublié la force de l’imprévu. Lequel prend les traits d’Horace, un beau jeune homme qui a vu Agnès par la fenêtre et, en soudoyant le couple de serviteurs, a passé tout son temps auprès d’elle à lui conter fleurette, pendant qu’Arnolphe était en voyage. On en est là quand démarre la pièce. Et tout le bonheur de cette mise en scène va consister à réduire en bouillie le minable stratagème d’Arnolphe par toute une série de quiproquos et de rebondisse­ments.

Mettre en scène aujourd’hui L’Ecole des femmes, même si Stéphane Braunschwe­ig en avait le projet depuis quelques années, fait forcément écho au mouvement MeToo. En septembre dernier, à Oslo, montant Le Constructe­ur Solness d’Ibsen, il nous avait déjà dit à quel point cela avait influé sur la lecture et la mise en scène de la pièce. “Même si j’avais commencé à travailler sur L’Ecole des femmes avant l’affaire Weinstein, je dois dire que sans elle, je n’aurais pas fait le même spectacle. Ce mouvement de libération de la parole des femmes face à la domination et à la violence masculine a vraiment percuté le projet.”

“Sans l’affaire Weinstein, je n’aurais pas fait le même spectacle”

STÉPHANE BRAUNSCHWE­IG

Dans la pièce, on voit finalement peu Agnès, alors qu’Arnolphe ne quitte jamais la place. “Du coup, on a peu de matière pour son parcours à elle et ce fait est redoublé d’une structure qui est unique dans le théâtre de Molière et d’une incroyable modernité : Arnolphe ne sort quasiment pas de scène et on a l’impression de tout voir à travers son regard. On est en permanence avec lui, avec ses pensées, ses désirs. Il a treize monologues en tout. Cette structure accentue d’autant plus le fait qu’on passe par le regard de l’homme. Tout l’enjeu pour moi, surtout dans le contexte de MeToo, c’était de faire exister Agnès en dehors du regard d’Arnolphe.”

Cela passe non seulement par la vivacité et la fraîcheur qu’apporte Suzanne Aubert à Agnès, mais aussi par les inserts vidéo la montrant dans sa chambre, jambes nues, allongée sur son lit, jouant avec des ciseaux ou le petit chat qui bientôt va mourir. Des “capsules temporelle­s” qui s’inscrivent sur les parois transparen­tes qui font office d’espace clos. Avec Stéphane Braunschwe­ig, l’ouverture au monde prend le pas sur l’enfermemen­t et rend la fuite toujours possible : “Dans la pièce, tout se passe sur le seuil de la maison d’Arnolphe. C’est assez ennuyeux. Je trouve intéressan­t de jouer sur le dedans et le dehors, et sur une frontière qui se déplace, avec ces vitres qui s’ouvrent. En fait, c’est un dispositif d’enfermemen­t fantasmati­que qui est celui d’Arnolphe, plus qu’un décor réaliste. Ça permet de créer de l’enfermemen­t et en même temps une fluidité dans l’espace.” Alors, au final, quand les hommes se disputent le mariage arrangé d’Agnès, Stéphane Braunschwe­ig décide de la faire fuir. A elle de décider le chemin qu’elle prendra.

L’Ecole des femmes de Molière, mise en scène Stéphane Braunschwe­ig, avec Suzanne Aubert, Claude Duparfait, Georges Favre, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodriguez et Assane Timbo. Jusqu’au 29 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe

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Suzanne Aubert et Claude Duparfait

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