Les Inrockuptibles

Queen creole

L’Américaine d’origine haïtienne LEYLA MCCALLA revisite le son du bayou et le blues de La Nouvelle-Orléans, en l’enrichissa­nt d’une foule d’instrument­s et de rythmes qui dansent. Un disque aux allures de carnaval.

- The Capitalist Blues (Pias) Anne-Laure Lemancel

NI TOUT À FAIT LA MÊME, NI TOUT À FAIT UNE AUTRE : dans The Capitalist Blues, la belle égérie du bayou, Leyla McCalla, sort de sa chrysalide pour se draper d’un tourbillon de couleurs, loin de la nudité ouatée de son seul violoncell­e ou de la rugosité des cordes de son banjo, loin des racines arides sur lesquelles fleurissai­ent jusqu’alors les graines de sa voix. Plus musclés, plus charnus, plus sensuels, ces onze titres se gonflent de tous les sons de La Nouvelle-Orléans, la ville d’adoption depuis huit ans de la New-Yorkaise d’origine haïtienne. Comme si les fanfares, les défilés, les parades et l’esprit du Sud l’avaient définitive­ment happée.

Sur ses deux précédents opus, Vari-Colored Songs (2013) et A Day for the Hunter, A Day for the Prey (2016), la créole, venue chercher sa voix en Louisiane, revisitait des folksongs américaine­s ou haïtiennes. Pour la première fois, elle crée ici ses compositio­ns, nées du ventre, de la rage et de la joie. Surtout, elle a eu le soutien, pour la production et les arrangemen­ts, d’une légende rhythm’n’blues du cru: le chanteur et guitariste Jimmy Horn. Celui que l’on surnomme “King James” a ameuté sa bande de potes musiciens – une quinzaine au total – qui illuminent les chansons de Leyla. Elle raconte : “Après avoir produit mes deux premiers disques, je voulais repousser mes limites, éclairer ma musique de lumières différente­s.”

Ainsi résonnent dans ce disque des blues rugueux, suaves et délicieuse­ment old school ; des chansons qui vrombissen­t, tous cuivres dehors, sur les pas veloutés d’un soubassoph­one ( le morceau

The Capitalist Blues) ; des déhanchés sur du créole haïtien ; des ballades cajuns alanguies et mûries au soleil du Sud ( Mize pa dous, Heavy As Lead…) ; et sa voix, mature, singulière, charnue, entre la force de l’adulte et le sourire de l’enfant, qui se pose et s’envole et qui danse. Car ce disque danse pour exorciser le blues de ce monde de l’argent roi, comme le chante l’irrésistib­le calypso Money Is King. Car Leyla se sent “sous pression”, “comme une Cocotte-Minute” dans la société américaine. Sur ses douleurs, au fil de titres engagés, elle pose des mots : “Cette culture de consommati­on outrancièr­e et de gaspillage, où tout prend le titre de marchandis­e, contamine ton chemin, ta vie, jusqu’à tes choix artistique­s. Il faut s’armer de vigilance.” Ainsi, ce disque s’impose comme une catharsis, un carnaval, une transe qui sublime les malheurs et les crispation­s (Settle Down).

Et puis, bien sûr, dans la musique de Leyla, il y a ces mélanges, les épices, les métissages, le créole haïtien : “La créolité est cette langue de ‘résistance’, si pleine de sensations, de musiques, si fortement intelligen­te, elle me connecte à mon identité, à mes ancêtres. Dans ces mots, je me tiens debout”, exprime-t-elle. Avec ce disque, Leyla confirme qu’elle symbolise le renouveau du folk : “La musique connecte le présent et le passé. Elle retrace les mouvements de la société. Elle documente notre époque”, conclut-elle. Dans son disque, entre les eaux de la Louisiane et celles d’Haïti, on plonge alors, comme dans un livre d’histoire(s), plein d’orages, de cordes bluegrass et de cuivres flamboyant­s.

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