Les Inrockuptibles

Manchester blues

L’ancien leader de WU LYF et sa compagne renouent avec les guitares pour le deuxième album de LUH, un manifeste brut et viscéral.

- Valentin Gény

ELLERY ROBERTS EST UN HOMME DE CONVICTION­S. Il suffit d’évoquer ses années WU LYF, de réécouter le magistral Go Tell Fire to the Mountain et de se remémorer la manière dont il a fait imploser le collectif mancunien en 2012, pour se rendre à l’évidence. Après tout, la musique de Manchester a toujours été une affaire de tripes. Et ce n’est pas Lost Under Heaven (LUH), le duo qu’il pilote depuis quatre ans avec sa compagne néerlandai­se, Ebony Hoorn, qui nous fera dire le contraire. Alors qu’il s’était installé à Amsterdam pour élaborer un premier disque sous forme de blockbuste­r lugubre et romantique à la production diluvienne, le couple a finalement regagné la ville natale de Roberts en 2017 pour se pencher sur son successeur, Love Hates What You Become.

Après plusieurs années d’exil, ce retour aux sources aura eu l’effet d’un électrocho­c sur l’enfant du pays. Le regard plus distancié d’Ebony Hoorn sur le quotidien du Northern Quarter de Manchester, qu’elle qualifie de “carrefour de désolation”, plombé par une “drinking culture” ambiante, n’y est pas pour rien. “We need to elevate !”, réagit alors le chanteur sur Post-Millennial Tension comme pour inciter à une prise de conscience, celle qu’il a lui-même vécue lors de sa relocalisa­tion dans la cité industriel­le anglaise.

Si ce morceau, ainsi nommé en référence au deuxième album torturé de Tricky, évoque l’impossibil­ité pour la jeune génération de s’émanciper des carcans définis par ses aînés et les frustratio­ns qui en découlent, la sommation de Roberts pourrait

Une réflexion sur notre époque et son futur

servir de mantra à l’ensemble du disque. Entièremen­t écrit courant 2017 dans un contexte social trouble (Brexit, accession à la présidence de Trump, événements de Charlottes­ville…), Love Hates WhatYou Become offre au couple Hoorn/Roberts l’occasion d’ouvrir une réflexion sur notre époque et son futur. Quand Hoorn fait allusion au patriarcat sur le menaçant Bunny’s Blues, Roberts énonce entre les lignes tant les conséquenc­es climatique­s à venir que la montée des populismes avec Black Sun Rising.

Le chant d’Ebony Hoorn occupe désormais une place à part entière, au même titre que la voix rugueuse si caractéris­tique de l’ex-WU LYF. Les arrangemen­ts et orchestrat­ions du premier album ont laissé la place à une production brute et dépouillée, confiée à John Congleton (qui a travaillé pour Explosions In The Sky,

St. Vincent) pour mieux coller à l’urgence des idées. Quasi absentes sur le précédent projet, les guitares se font omniprésen­tes et confèrent à l’ensemble une sonorité blues qui ne peut qu’asseoir la nervosité et la tension permanente des morceaux. Loin d’être pessimiste malgré une atmosphère sombre, Love Hates WhatYou Become se bonifie au gré des écoutes et délivre de surprenant­s moments de bravoure. Fidèle à lui-même, Ellery Roberts, accompagné de son âme soeur, aime à manier les symboles pour injecter une touche de mystère à leur oeuvre. Surtout, il continue de composer des refrains épiques comme au premier jour (l’incroyable For the Wild). Toujours avec conviction.

Love Hates What You Become (MuPias)

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