Les Inrockuptibles

Border d’Ali Abbasi

- Jean-Baptiste Morain

Une douanière dotée d’un odorat qui repère les émotions est embarquée dans d’étranges péripéties, amoureuses et policières. Un conte surprenant.

LE FILM D’ALI ABBASI (PRIX UN CERTAIN REGARD 2018 À CANNES), cinéaste iranien installé au Danemark (c’est important pour la suite), est tiré d’un roman de John Ajvide Lindqvist, également auteur de Laisse-moi entrer, qui a été adapté au cinéma par Tomas Alfredson, en 2008, sous le titre de Morse – une histoire de vampires modernes. Il met cette fois-ci en scène un personnage singulier qui répond au doux prénom de Tina.

Tina est laide, ne prend pas soin de sa personne. Tina est limite antipathiq­ue. Elle exerce le noble métier de douanière avec une efficacité inquiétant­e grâce à un odorat hyper développé. Elle sent (au sens propre) les sentiments des humains : la peur, la culpabilit­é, la honte... Et devine ainsi quels sont les passagers qui ont quelque chose à cacher.

En dehors de son travail, Tina habite dans une maison retirée au milieu des bois, avec un glandu qui vit à ses crochets. Tina s’est toujours sentie seule.

Elle entretient heureuseme­nt avec la nature un rapport quasi charnel, qui lui permet de trouver un certain équilibre. Les animaux sauvages l’approchent sans crainte, par exemple. Ses parents en revanche sont plus distants et elle en souffre.

Un jour, à la douane, débarque un homme bedonnant carrément repoussant (qui fait, lui, peur aux animaux). Il présente des traits de ressemblan­ce avec Tina. Il s’appelle Vore. Tina est très troublée : d’abord parce qu’elle ne parvient pas à deviner les sentiments de cet homme-là, ensuite parce qu’elle le trouve attirant.

L’intrigue va se nouer, et nous n’en dirons pas plus, car elle est merveilleu­se, inattendue, déchirante et souvent drôle. Très vite vont s’imbriquer plusieurs récits parallèles : une enquête de police sur un réseau pédophile à laquelle Tina va participer ; une histoire d’amour (avec un long travelling dans la forêt qui rappelle l’un des plus beaux plans du Lady Chatterley de Pascale Ferran) ; puis une quête identitair­e sur tous les plans, car Tina, comme vous l’avez sans doute compris, n’est pas tout à fait comme tout le monde – et Vore non plus, c’est le moins que l’on puisse dire.

Sans jamais se départir de son humour et/ou de son ton de conte de fée réaliste, le film parle alors de filiation, du choix qu’a tout être possédant une conscience de continuer à s’inscrire dans ses racines ou de tenter d’y échapper. Comme l’évoque son titre (ainsi que les origines et l’exil de son auteur – signalés finement dès le premier paragraphe de cet article), Border joue sans cesse sur les frontières : entre l’humanité et la bestialité, la féminité et la masculinit­é, le bien et le mal, etc. Tina (interprété­e par Eva Melander, extraordin­aire) réussira à trouver un no man’s land où survivre.

Border est un film exceptionn­el qui, contre toute attente, dévoile peu à peu sa croyance dans la puissance de bienveilla­nce de tous les êtres vivants.

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