Les Inrockuptibles

Creed II de Steven Caple Jr.

Avec Michael B. Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson (E.-U., 2019, 2 h 10)

- Jacky Goldberg

Suite de la saga pugilistiq­ue, à la morale douteuse où seul Sly n’en sort pas KO.

Etre condamné à rejouer éternellem­ent les tragédies des pères : il y avait là, assurément, un beau sujet, que Creed II trahit après l’avoir seulement effleuré. Trois ans après un premier opus, très réussi, visant à prolonger la saga Rocky par l’élection d’un disciple de l’étalon italien, en la personne d’Adonis Creed (le fils d’Apollo), cette suite confronte le jeune prodige à un féroce boxeur ukrainien, Viktor Drago (le fils d’Ivan). Ce dernier, on s’en souvient, avait occis jadis le grand Apollo dans un combat sauvage, avant d’être vengé par le boxeur éponyme. On était en 1985, Rocky enfilait les gants pour la quatrième fois, la guerre froide battait son plein, et il y avait alors une certaine logique, disons reaganienn­e, à rosser des Russes. Mais en 2018, la rouste annoncée revêt moins un caractère politique qu’intime : c’est d’abord un honneur familial bafoué qu’il convient de défendre – quoique le spectre de la guerre froide soit toujours présent et la légendaire vilenie slave caricaturé­e dans une poignée de scènes franchemen­t embarrassa­ntes (dédicace à Brigitte Nielsen, qui reprend son rôle de madame Drago lors d’un dîner comme sorti d’une parodie). Si l’on peut à la rigueur pardonner à Steven Caple Jr. la médiocrité de sa mise en scène (bien pâle face à celle de Ryan Coogler) et sa direction d’acteurs approximat­ive (tout le monde a l’air KO debout, groggy ou grognon), il est en revanche plus difficile d’avaler sa morale : cette reconducti­on joviale des humiliatio­ns du passé, les perdants étant toujours les mêmes, sans que l’on ne s’en émeuve au-delà d’une pauvre ligne de dialogue faux-cul. Les fils sont ainsi bel et bien condamnés à marcher dans les funestes pas de leurs pères, les gestes et les mots à bégayer sans fin, et avec le sourire s’il vous plaît. Seul à sauver du désastre, Sly, souverain, sait qu’il tient là, lui, enfin, pour de bon, sa porte de sortie – du moins espérons-le, pour lui, pour nous.

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