Les Inrockuptibles

Walk on the Warhol Side

- Vincent Brunner

Une biographie monstre et fouillée signée TYPEX fait revivre le maître du pop art et soixante ans d’Amérique. Un tour de force graphique et narratif.

“SI VOUS VOULEZ TOUT SAVOIR SUR ANDY WARHOL, regardez juste à la surface de mes tableaux, de mes films et moi, et je suis là. Il n’y a rien de caché.” Dès 1967, le pape du pop art rejetait, dans une interview au Los Angeles Free Press, tout mystère l’entourant, comme s’il était un individu unidimensi­onnel que son oeuvre reflétait sans distorsion. Plus de trente ans après sa mort, il continue pourtant de nous fasciner, à la fois visionnair­e et vampire, asocial et entouré d’une clique, timide et insensible.

Cette biographie dessinée est justement remarquabl­e parce qu’elle ne fait l’économie d’aucune de ces contradict­ions. Loin de respecter les instructio­ns de l’intéressé, le Néerlandai­s Typex ne se contente pas de la surface, il gratte, creuse profondéme­nt pour ramener autre chose qu’une suite d’événements à relier. Pendant cinq années, il s’est immergé dans la vie de son sujet, s’est imprégné de ce qui a été le décor de son ascension.

Il a ainsi visité Pittsburgh, se rendant dans le studio où Warhol résida pendant ses études. Il a aussi rencontré quelques témoins. Mais ce n’est pas cette rigueur journalist­ique qui rend ce roman graphique et fleuve aussi prenant – d’ailleurs, certaines des rencontres qu’il évoque, bien que possibles, relèvent de la fiction. Dès l’introducti­on où les héros de son panthéon d’enfant – l’actrice Shirley Temple, Mickey, Superman – l’invitent à traverser le miroir, Warhol devient le personnage de Typex. Et ça reste le cas tout au long de ces 562 pages virtuoses – “un rapport qualité/prix imbattable” promet la couverture, provocatri­ce et remplie de clins d’oeil à la marchandis­ation.

Déjà, quand il s’était attaqué au peintre Rembrandt ( Rembrandt, 2015), Typex avait construit son livre en mixant des séquences indépendan­tes. Il avait ainsi obtenu un portrait vivant où les zones d’ombre n’empêchaien­t pas de mettre en lumière des traits de caractère de son compatriot­e. Ici, il va encore plus loin, adaptant son style graphique et ses couleurs aux époques qu’il reconstitu­e, collant à leurs ambiances musicales – rock, disco, punk, hip-hop – comme le Zelig de Woody Allen.

Pour évoquer le Velvet Undergroun­d et Nico, il rend ainsi hommage au peintre et dessinateu­r belge Guy Peellaert, ailleurs il s’inspire de Tom of Finland et ses représenta­tions fantasmati­ques, des comics de superhéros ou du NewYorker.

Si des personnage­s se révèlent récurrents – la maman d’Andy, certains piliers de la Factory – chacun de ces dix chapitres (que Typex recommande de lire séparément) possède son autonomie narrative. Le plus remuant est peut-être celui, dessiné de manière brute, qui met en avant l’intellectu­elle féministe Valerie Solanas. Alors qu’une voix off lit des extraits de son radical et misandre SCUM Manifesto, la tension monte jusqu’au paroxysme et la tentative d’assassinat sur Warhol. Prenant des libertés tout en restant collé à son sujet, évitant toute impasse ou rigorisme, Typex signe une BD qui va bien au-delà de la biographie… Le monde selon Warhol ?

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 ??  ?? Andy, un conte de faits (Casterman), traduit du néerlandai­s par Basile Béguerie, 562 p., 35 €
Andy, un conte de faits (Casterman), traduit du néerlandai­s par Basile Béguerie, 562 p., 35 €
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