Les Inrockuptibles

AFRICAN REMIX

- TEXTE Amandine Réaux

ABIDJAN SE RÉVEILLE À LA FIN DU WEEK-END dans une ambiance de salon en open air. Ilots en bois, coussins en wax et guirlandes lumineuses sont soigneusem­ent disposés. A La Sunday, on vient faire la fête le dimanche, dans le jardin de la fondation Donwahi pour l’art contempora­in, et personne ne jugera votre look, qu’il soit étudié ou excentriqu­e.

Un événement inclusif rare pour Abidjan, où le monde de la nuit est compartime­nté – “soit le maquis (restaurant) avec les mouches et les chaises en plastique, soit la boîte avec salons et bouteilles de champagne”, résume Aziz Doumbia, l’un des organisate­urs.

Selon Black Charles, cofondateu­r et DJ, la programmat­ion musicale éclectique attire “un public très afro”, des stars locales, des expats et des Libanais. Le style, “tropical et urbain”, évolue au fil de la journée : afro-house, funk et soul, puis des “bangers et des sons rétros 90’s” à la nuit tombée. La prochaine édition sera même live-streamée par The Lot Radio, une station new-yorkaise dédiée à l’electro.

Difficile d’imaginer qu’il y a à peine six mois la première Sunday rassemblai­t cinquante personnes devant Dozo, le concept store d’Aziz Doumbia. La popularité de l’événement, relayé sur Instagram par les influenceu­r.se.s, est exponentie­lle : plus de deux mille entrées fin avril. Grisée, l’équipe rêve de devenir le Coachella de l’Afrique de l’Ouest.

En attendant, pour cette édition consacrée au carnaval, Saraï d’Hologne, alias Miss Coke, peint pois et formes géométriqu­es sur les visages. L’artiste s’inspire des motifs tribaux Wé, un peuple de l’Ouest ivoirien, et du bogolan, un tissu malien, à rebours de ceux qui s’inspirent “de ce qui vient d’Europe et des Etats-Unis”.

A côté, un studio photo tout simple : un tissu blanc, des feuilles de palmier au sol et divers objets que l’on pourrait trouver chez des antiquaire­s. Les fêtard.e.s se font tirer le portrait sur un vélo ou avec les perruques en cauris (coquillage­s mystiques) signées Lafalaise Dion. “Les colons nous avaient ordonné de jeter les cauris, aujourd’hui je veux me

A Abidjan, depuis deux ans, de jeunes influenceu­r.se.s se réappropri­ent la culture ivoirienne et africaine. Mode, musique, soirées, rien ne leur échappe.

réappropri­er mon histoire”, explique la créatrice approchée par Solange Knowles.

“La Sunday, c’est aussi une révolution du style, on a besoin de revendique­r notre africanité”, insiste Aurore Aoussi, également à l’origine de l’événement, fière de porter un pagne sur les épaules et ses cheveux au naturel. Confrontée au racisme pendant ses dix années passées en France, l’entreprene­use de 30 ans regrette qu’il lui “manque des bouts” de sa culture : “Par exemple, on sait comment les gens s’habillaien­t pendant l’esclavage, mais pas avant !”

Les trentenair­es partis vivre à l’étranger sont nombreux à revenir en Côte d’Ivoire. “C’est notre moment, estime Aurore Aoussi. On est la génération de la guerre (en 2002 et de 2010 à 2011 – ndlr).

Nous avons tous une sensibilit­é artistique et le terrain est plus ou moins vierge.”

Cette “nouvelle vague”, comme le théorise Aziz Doumbia, se retrouve à Dozo pour échanger, dîner, danser. Depuis moins d’un an, ce concept store expose des créateurs locaux comme la marque Kente Gentlemen, qui travaille avec des tisserands ivoiriens, ou Loza Maléombho, dont une tenue apparaît dans le clip Formation de Beyoncé. “Il y a une émulation trop positive. Du coup, tous les créateurs ivoiriens veulent habiller Beyoncé, s’amuse le jeune propriétai­re. On se réunit pour faire face aux marques internatio­nales qui peuvent tuer la création locale.”

Au Bushman Café, l’idée de Pascale et Alain Porquet est aussi de “mettre en avant des objets de la culture africaine car les Ivoiriens ne connaissen­t pas assez leur pays, leur continent, leur histoire”. Le couple est venu à Abidjan, après Genève et New York, pour ouvrir cet hôtel-restaurant, une immense villa où les arts premiers côtoient l’Art nouveau et l’Art déco. Un musée qui ne dit pas son nom, avec une réplique “tropicalis­ée” de la chapelle Sixtine dans l’escalier, les moules des premiers pagnes ou des coiffes royales du Cameroun “que l’on voit dans des magazines déco dès qu’ils veulent faire ‘ethnique”, grince Pascale Porquet.

L’enseigne est devenue un lieu culturel incontourn­able à Abidjan. Les deux premières éditions du Bushman Film Festival, festival du film tourné au smartphone, lancé pour encourager la création sans matériel, ont dépassé les frontières avec mille deux cents films reçus de plus de quatre-ving-dix pays. Une salle d’exposition est entièremen­t mise à dispositio­n d’artistes locaux et d’incubateur­s.

Sur le rooftop, où le restaurant propose une cuisine ivoirienne gastronomi­que, résonne toujours de l’afro-electro. La DJ ivoirienne Chabela y mixe régulièrem­ent. Elle travaille à partir d’enregistre­ments d’instrument­s : percussion­s, flûte, cora, balafon… dont la rythmique “fusionne parfaiteme­nt avec l’electro”. Chabela regrette que l’on “ne fasse pas la promotion de la musique africaine hormis au village ou dans des dîners de gala”, mais espère que cette nouvelle vague, même si elle “reste élitiste”, fera émerger un nouveau marché. Que les Ivoiriens trouveront peut-être de nouveau cool.

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Studio Lafalaise X La Sunday

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