Les Inrockuptibles

Le Flambeur

de Karel Reisz

- Thierry Jousse

Le portrait flamboyant d’un prof d’université qui brûle sa vie sur les tables de jeu. Toute la magie jointe du Nouvel Hollywood, du Manhattan seventies et de la coolitude absolue de James Caan.

LIBREMENT ADAPTÉ DU “JOUEUR” DE DOSTOÏEVSK­Y, Le Flambeur fait partie de ces films enfouis au coeur du Nouvel Hollywood qu’on découvre ou redécouvre avec un énorme plaisir. Réalisé par Karel Reisz, cinéaste anglais d’origine tchèque qui s’était fait connaître comme l’un des initiateur­s du trop oublié Free cinema, entre 1956 et 1963, Le Flambeur, qui date de 1974, plonge en terrain connu, l’enfer du jeu et, son pendant, l’addiction d’un joueur invétéré. Sauf que, première originalit­é, ce flambeur est également professeur de littératur­e à l’université. Un prof ultra-cool bien sûr puisqu’il est interprété par le grand James Caan, centre de gravité d’un film qui le suit à la trace et ne le lâche pas d’une semelle.

Si le scénario, signé James Toback, épouse, avec une grande rigueur, les stations de sa descente aux enfers qui est également un itinéraire moral, la mise en scène de Reisz tempère ce côté programmat­ique par une sécheresse de tous les instants. Dans Le Flambeur, il est forcément question de perte, de dette, d’échec, dans tous les sens qu’on peut donner à ces termes – c’est le côté dostoïevsk­ien du film –, mais ce qu’on voit à l’écran, c’est un homme qui traverse toutes les situations avec une énergie et un détachemen­t qui, loin de masquer l’angoisse du personnage, la renforce paradoxale­ment.

En réalité, Le Flambeur est une sorte d’hymne à James Caan, interpréta­nt, avec

une liberté propre aux seventies, ce héros autodestru­cteur avec la certitude qu’il va perdre. Mais cette certitude le rend curieuseme­nt presque invulnérab­le jusqu’à ce que son destin s’inscrive, comme un trait dessiné rageusemen­t, à même son visage. Un des grands charmes du film tient à la manière dont l’acteur habite un New York tellement incarné qu’on a l’impression d’y avoir toujours vécu. Un New York sans pittoresqu­e, malgré les petites frappes qui peuplent inévitable­ment ce voyage au coeur d’une ville qu’on croit parfaiteme­nt connaître mais qui est ici filmée avec un réalisme rare.

Au final, Le Flambeur n’a rien d’un sous-Scorsese (qui, à l’époque, venait juste de réaliser Mean Streets). C’est un film à la fois fiévreux et nonchalant, âpre et séduisant, qui offre à James Caan son plus beau rôle, à égalité avec

Le Solitaire de Michael Mann. Un film qui ne verse pas dans le flamboyant, encore moins dans l’allégoriqu­e, tant il est attaché à la précision des lieux, des milieux et des situations qu’il traverse. Et qui s’inscrit en première ligne dans la galaxie des films sur le jeu, quelque part entre Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville et La Baie des anges de Jacques Demy.

Le Flambeur de Karel Reisz, avec James Caan, M. Emmet Walsh, Lauren Hutton (E.-U., 1974, 1 h 51, reprise)

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James Caan et Lauren Hutton

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