Les Inrockuptibles

Le Professeur

de Valerio Zurlini

- Jean-Baptiste Morain

Coproduit et interprété par Alain Delon, l’un des plus beaux films de la star française et du cinéaste italien Valerio Zurlini, dans une version inédite et restaurée.

FILM CULTE POUR LES ADMIRATEUR­S DE ZURLINI ET DE DELON, Le Professeur sort pour la première fois en France dans sa version italienne (et non doublé en français), avec une copie magnifique­ment restaurée qui rend à la photo du grand chef op Dario Di Palma toute sa beauté. Zurlini le romantique y filme la ville, les plages et la campagne de Rimini en hiver, brumeuse, humide, triste, boueuse, à l’unisson de la psyché de ses personnage­s. Le titre original du film est La Prima Notte di quiete, soit“la première nuit de calme”, définition que donne Goethe de la mort. L’un des (beaux) personnage­s du film, Spider (Giancarlo Giannini), pose la question au “héros”, Daniele Dominici (Delon), dont il est amoureux : “Pourquoi la mort serait-elle la première nuit de quiétude ?” “Parce qu’on dort enfin sans rêver”, répond Dominici. Tout est dit de la dépression profonde de ce personnage de quadragéna­ire totalement perdu, indifféren­t à tout, rongé par un mal dont l’explicatio­n finale ne dira en réalité rien, qui ne quitte presque jamais son manteau beige (sauf pour faire l’amour).

Obligé d’enseigner la littératur­e pour vivre, il va tomber amoureux d’une de ses élèves de 19 ans, Vanina (Sonia Petrovna, que Visconti met en scène la même année dans Ludwig). Nul espoir, en dehors de ce nouvel amour inattendu. Car l’histoire d’amour de Dominici avec sa femme Monica (Lea Massari) est en bout de course. Dépressive, elle ne sort jamais

sinon pour le tromper, comme lui l’a toujours trompée. Il n’y a plus que le désir qui les tient ensemble, et pas seulement le “désespoir”, comme le prétend Dominici. Le désir est le vrai sujet du film, tout tourne autour de lui : tous les personnage­s, hommes et femmes, dépendent de lui. Seuls l’art et la littératur­e, parfois, peuvent consoler Dominici de sa vie sans vie. Jusqu’à l’apparition de Vanina. Mais comme le monde est décidément pourri, le corps de cette jeune femme au visage si pur a déjà été vendu à tous les hommes de la région, célibatair­es plus ou moins truands, glauquissi­mes, qui passent leurs nuits à jouer, à baiser et à boire.

Delon est l’un des producteur­s du film, et il laisse Zurlini le transforme­r en mec cradingue sans broncher, avec une confiance et un abandon impression­nants. Dans l’une des scènes les plus cruelles du film, qui rappelle certains moments de La Jeune Fille à la valise et d’Eté violent (du même Zurlini), Delon regarde, hagard, fou de désir, Vanina danser avec son amant. Il a alors un regard impossible à décrire, entre la sidération et l’extase, qui fait toute l’ambiguïté d’un film au-delà du sado-masochisme, où ni celui qui désire ni celui qui est désiré ne possède jamais l’autre.

Le Professeur de Valerio Zurlini, avec Alain Delon, Sonia Petrovna, Alida Valli, Lea Massari (It., Fr., 1972, 2 h 07, reprise) Lire aussi notre entretien avec Alain Delon p. 10

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Lea Massari et Alain Delon

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