Les Inrockuptibles

Un havre de paix

de Yona Rozenkier

- Bruno Deruisseau

Avec Micha, Yoel et Yona Rozenkier (Isr., 2018, 1 h 31)

Trois frères se retrouvent à la mort de leur père. Un portrait familial décousu qui se distingue par sa critique de la culture militaire israélienn­e.

La critique du patriarcat est un point de convergenc­e partagé par plusieurs des cinéastes les plus passionnan­ts du renouveau du cinéma israélien qui a démarré depuis une dizaine d’années. Tom Shoval dans Youth (2013), Nadav Lapid dans Le Policier (2011) et Synonymes (2018), Michal Vinik dans Petite Amie (2015), Haim Tabakman dans Tu n’aimeras point (2009) et ici Yona Rozenkier avec Un havre de paix, son premier long métrage. Elle révèle la souffrance de jeunes hommes et femmes obligé.e.s de servir militairem­ent leur pays. C’est le point de départ d’Un havre de paix. Trois frères (interprété­s par le réalisateu­r et ses deux propres frères) ont tous un rapport différent à l’armée ; le premier loue ses valeurs, le second les rejette et le troisième, qui navigue entre les deux, s’apprête à partir servir sur le front au Liban. Ils se retrouvent tous dans le kibboutz de leur enfance pour enterrer leur père, athée convaincu. Si la mise en scène de Rozenkier est décousue et souffre d’un manque de rythme qu’une tapisserie sonore peine à compenser, le portrait familial, genré et identitair­e que propose le film n’est pas sans intérêt. Le kibboutz y est représenté comme un territoire abandonné par toute forme d’autorité, laissé en jachère : animaux en liberté, terrains vagues, milices villageois­es, silhouette­s de soldats en carton, barbelés, hystérie collective et le sentiment d’une guerre continue mais laissée en hors-champ ne se manifestan­t qu’à travers la menace d’une bombe qui peut tomber à tout moment et les alertes envoyées par SMS à la population. Cette atmosphère quasi fantasque et absurde se double d’une critique des pratiques virilistes israélienn­es

– le maniement des armes, la consommati­on d’alcool et la compétitio­n de manière générale. Une façon de désenclave­r le conflit israélo-palestinie­n de sa géopolitiq­ue complexe pour dénoncer le ridicule de machos désireux de faire la guerre comme on jouerait au paintball. S’adressant à un poster de Clint Eastwood en cow-boy, un pistolet à la main, le plus antimilita­riste des frères déclare : “Tout ça, c’est à cause de toi.”

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