Les Inrockuptibles

Zone de hautes pressions

La minisérie JEUX D’INFLUENCE pénètre le lobby des pesticides. Un peu raide mais convaincan­te, cette nouvelle venue sur Arte est signée par le documentar­iste oscarisé Jean-Xavier de Lestrade.

- Olivier Joyard

UN MOIS APRÈS LA PRODUCTION FRANCO-ALLEMANDE “EDEN”, qui abordait la crise migratoire européenne avec un soupçon de didactisme, Arte s’entiche à nouveau d’un sujet social et politique. Jeux d’influence scrute en six épisodes denses le monde parallèle (et pourtant collé au nôtre) des lobbies, en l’occurrence, ici, une entreprise milliardai­re qui fait tout pour continuer à vendre des pesticides douteux. La série débute sur une image a priori banale transformé­e en trauma pour nos génération­s : un épandage de pesticides au tracteur dans un champ agricole, quelque part en France. Juste après, dans la cour de sa ferme, l’agriculteu­r s’effondre.

Sa leucémie est le point de départ d’une fiction à tendance arborescen­te. Jean-Xavier de Lestrade lie cet homme détruit et sa famille à un député qui dépose un amendement visant à interdire le pesticide censé avoir provoqué la maladie. De l’autre côté du spectre, l’entreprise à l’origine de la mise sur le marché, une multinatio­nale de l’agrochimie, travaille à tuer dans l’oeuf cette idée bizarre. L’un de ses cadres meurt dans des circonstan­ces suspectes. La fille de ce dernier et une journalist­e devenue lobbyiste se joignent à la bataille. Jeux d’influence peut alors déployer son véritable ADN, celui d’une série politique aux ramificati­ons nombreuses, ultra-contempora­ine dans les enjeux qu’elle touche, désormais au coeur de conversati­ons récurrente­s à l’Assemblée nationale et ailleurs.

Depuis une vingtaine d’années, Jean-Xavier de Lestrade s’est surtout fait un nom en tant que documentar­iste ( Un coupable idéal, oscarisé) avant de glisser doucement vers la fiction avec notamment 3 × Manon puis Manon 20 ans, deux miniséries au charme certain. Jeux d’influence marque à la fois une avancée en termes d’ambition et de spectre, autant qu’elle souligne un certain recul artistique.

Le réalisateu­r se retrouve d’abord occupé à rendre justice à son scénario, il est vrai plutôt habile dans la constructi­on d’une toile narrative à laquelle il est plaisant de succomber. Il tente également d’y ajouter quelques couches romanesque­s, qui peinent malheureus­ement à éloigner Jeux d’influence de la pure série-dossier. Une certaine raideur dans l’approche des personnage­s et des intrigues se dégage, ainsi qu’un manque de respiratio­n et d’inspiratio­n plastique qui rendent le saut vers l’émotion difficile.

Sur l’entrelacem­ent de la politique et de la vie, David Simon avait proposé il y a quelques années Show Me a Hero (une histoire de logement social dans une petite ville américaine), d’une puissance exemplaire. Ici, une idée de la fiction française classique et sérieuse reste l’horizon. C’est d’autant plus dommage que Jeux d’influence possède deux beaux personnage­s fidèles aux obsessions de Jean-Xavier de Lestrade : une post-ado butée à la recherche de la vérité (Marilou Aussiloux, une révélation) et une journalist­e devenue lobbyiste (excellente Alix Poisson), en lutte morale avec elle-même quand elle touche du doigt la vérité.

Jeux d’influence de Jean-Xavier de Lestrade, avec Marilou Aussiloux, Alix Poisson, Laurent Stocker. Sur Arte

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Christophe Kourotchki­ne

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