Les Inrockuptibles

Lloyd Jones

La Cage

- Sylvie Tanette

Jacqueline Chambon, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol, 320 p., 22,50 €

Le romancier néo-zélandais imagine un conte macabre opposant les habitants d’un petit bourg rural à deux étrangers en fuite.

C’est un texte étrange et glaçant. Une horreur qui se déroule au sein d’un tranquille paysage verdoyant. Dans un lieu indétermin­é, deux étrangers apparaisse­nt un jour aux abords d’une bourgade. Ils viennent d’échapper à une catastroph­e si terrifiant­e qu’ils refusent de la décrire, ont fui un pays qu’ils ne peuvent nommer. Ils disent juste que tout a disparu. Accueillis par charité, ils se retrouvent finalement enfermés dans une cage. Elle se dresse dans l’arrière-cour de l’auberge du village, chacun peut venir les observer à loisir et personne ne s’en prive. On leur jette de la nourriture, on les lave parfois au jet d’eau. Leur sort est entre les mains d’un petit groupe de villageois autoprocla­mé “comité de direction”. Le narrateur, un jeune garçon, observe les agissement­s des uns et des autres. Sa voix donne une tonalité particuliè­re à ce récit, car le garçon ne se départ pas d’une sorte de perplexité effrayée. Il s’inquiète beaucoup du sort des étrangers, mais les épie comme s’ils étaient des animaux au comporteme­nt incompréhe­nsible.

La Cage est le troisième roman de Lloyd Jones à être traduit en français. L’auteur néo-zélandais a réussi à concentrer ici toutes sortes d’angoisses contempora­ines. Son récit d’une lucidité implacable renvoie à des images de camps de partout dans le monde, met en scène la peur ancestrale de la guerre et des catastroph­es en général. Il peut aussi être lu comme une parabole sur la manière dont les pays riches traitent les migrants. Le regard distancié et innocent du jeune narrateur permet surtout de faire émerger autre chose : l’inconscien­te perversité du nanti. Les villageois estiment être dans leur bon droit – ils trouvent que les étrangers pourraient se montrer plus coopératif­s – et pensent même être généreux : ils offrent des couverture­s quand il se met à faire froid. Lloyd Jones, en instaurant l’inhabituel dans le décor champêtre et bonhomme d’un petit village anodin, montre qu’une société qui ne se prépare pas à l’avenir peut, si elle n’y prend pas garde, sombrer dans l’inhumanité.

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