Les Inrockuptibles

Vis de formes

De la contrainte, Alexander Vantournho­ut fait un tremplin. Dédié à l’espace public, SCREWS met en jeu des corps et des objets, transformé­s en prothèses génératric­es de mouvements et de figures inédites.

- Fabienne Arvers

SIGNE PARTICULIE­R D’ALEXANDER VANTOURNHO­UT, DANSEUR, CHORÉGRAPH­E ET ACROBATE : au spectacula­ire (attendu), il préfère la délicatess­e du trait, un espace qui respire et l’épure du geste. Formé à Bruxelles à l’Ecole supérieure des arts du cirque et à P.A.R.T.S, l’école fondée par Anne Teresa de Keersmaeke­r, on l’a découvert dans des solos – Caprices (2014), Aneckxande­r (2015) – où le minimalism­e de la forme s’accordait à un engagement total du corps. De l’univers circassien où il a étudié la roue simple, l’acrobatie et le jonglage, il a gardé le goût de l’objet et le traitement de l’espace qu’il insuffle.

Sa recherche d’un langage corporel puisant tout autant au cirque qu’à la danse, et notamment à la danse-contact de Steve Paxton, passe par l’interrogat­ion du mouvement à travers la rencontre avec un autre corps, d’abord passif dans Raphaël (2017), où Alexander Vantournho­ut tentait de donner vie au corps immobile de son partenaire. C’est également un empêchemen­t qui est à la source de Screws, pièce de groupe réunissant six interprète­s. Car Screws est aussi le titre d’un album de Nils Frahm réalisé en 2012 alors qu’il vient de se casser le pouce. L’enregistre­ment étant planifié, il décide de composer neuf morceaux, un pour chaque doigt restant capable de jouer du piano.

Sauf qu’avec Alexander Vantournho­ut, il s’agit moins d’empêchemen­t que de détourneme­nt de l’objet. Dans l’immense salle des fêtes du Garde-Chasse, le théâtre-cinéma des Lilas où a lieu la première de la pièce, le public n’a pas de place définie. Libre à lui de se déplacer à sa guise en fonction des micro-performanc­es qui vont se déployer successive­ment aux quatre coins de l’espace. D’abord un duo, simplissim­e, où deux corps effectuent des torsions en miroir tandis qu’un peu plus loin deux interprète­s, accroupies, pareilleme­nt accolées, mettent au point une démarche inédite. Duos et trios se succèdent et mettent en jeu l’entremêlem­ent des corps, leur renverseme­nt.

Tout est affaire de contrepoid­s, sur la ligne de crête d’un équilibre qui ne tient pas en place, où le partenaire est à la fois support et moteur de mouvements. Bientôt, les objets s’en mêlent – la barre où deux filles sont accrochées, les chevilles sanglées – et composent avec délicatess­e des envolées figées dans des enroulemen­ts doux qui prennent de la vitesse. Une boule de bowling qui se substitue à l’élan donné par le joueur pour mener la danse et insuffler le geste. Des chaussures à crampons qui griffent les planches de bois posées sur le sol alors que les corps s’étirent à la renverse, défiant la gravité. Pour finir, la troupe nous entraîne dans le jardin du théâtre pour une ronde aux allures de chaîne anglaise complexe et délurée. Que l’attention à l’autre génère autant de force et de douceur agit comme un charme. Un enchanteme­nt.

Screws chorégraph­ie et circograph­ie Alexander Vantournho­ut. Du 14 au 23 juin, Oerol Festival, Pays-Bas. Le 29 juin, festival PerplX, Courtrai, Belgique. Les 20 et 21 septembre, festival Actoral, Marseille

 ??  ?? Alexander Vantournho­ut
Alexander Vantournho­ut

Newspapers in French

Newspapers from France