Sur un fil
Ecrite dans le sillage de la mort de LOUISE BOURGEOIS, une nouvelle biographie par l’une de ses plus éminentes spécialistes éclaire une trajectoire qui imprime la torsion de l’intime à l’histoire du XXe siècle.
FEMME-ARAIGNÉE À L’INSTAR DE “MAMAN”, SES SCULPTURES MONUMENTALES DE 1999 qui arpentent l’espace public, Louise Bourgeois tisse sa toile à travers le XXe siècle. Née en 1911 à Paris, décédée en 2010 à New York, où elle s’installe en 1938, sa vie imprime au siècle la torsion de l’intime. Artiste femme, mère de trois enfants, elle a connu deux guerres et traversé sans jamais s’y figer les principaux courants de l’époque : l’expressionnisme et le surréalisme, le féminisme et la psychanalyse. Dans une oeuvre prolixe à la reconnaissance tardive, les éléments biographiques de celle qui fut d’abord galeriste foisonnent, davantage sur le mode de l’exorcisme ou de la perversion. L’enfance, l’amour, la famille, l’érotisme et la fiction de soi deviennent les catalyseurs d’une oeuvre touche-à-tout, se baladant avec panache et humour du textile à la sculpture, de l’illustration aux installations-maisons.
Raconter la vie de Louise Bourgeois, c’est alors forcément sauter à pieds joints dans l’exégèse. C’est forcément l’inscrire dans une interprétation, ouverte comme le sont également les grandes oeuvres. C’est également rappeler que l’intime est toujours politique, et que cette formule militante s’invente en grande partie dans ces années-là, portée par des voix comme celle de Louise Bourgeois qui à leur tour inspireront Christian Boltanski ou Annette Messager (en France), Richard Serra ou Jenny Holzer (aux Etats-Unis), et surtout la génération à venir, l’actuelle. Pour l’écrire, cette vie, Marie-Laure Bernadac a eu besoin de remettre encore et encore l’ouvrage sur le métier. Le patient tissage doublé d’une dextérité d’équilibriste exigé par la tâche, l’auteure d’une nouvelle biographie en a peut-être conscience plus que nul autre. En 2006, elle rédige une précédente biographie de l’artiste et expose son travail à de nombreuses reprises : en 1995 au Centre Pompidou à Paris, puis en 2008, et en 1998 à Bordeaux au CAPC.
Ce nouvel ouvrage s’ouvre d’emblée sur la fin : la disparition de son sujet et le manque, celui d’“une grand-mère, une mère, une femme, une amie, une soeur, une petite fille, tout cela à la fois, et en plus une grande artiste, unique, irremplaçable, ‘indispensable”. Mais également l’accès désormais public aux archives de celle qui, dès 11 ans, entame l’écriture d’un journal qu’elle tiendra jusqu’à sa mort. “Ses vêtements, comme ses écrits (correspondance, journaux intimes, textes poétiques ou psychanalytiques), étaient ses reliques, ses souvenirs, sa muse et son matériel de création.”
A la précision renouvelée des sources, Louise Bourgeois. Femme-couteau joint une approche à la subjectivité et à l’empathie assumées. Où l’on lit finalement un double portrait de femmes, un compagnonnage intellectuel venant en retour éclairer la genèse de certaines expositions cultes des années 2000 dont Marie-Laure Bernadac fut cocommissaire : Présumés Innocents au CAPC à Bordeaux (2000) sur l’enfance ou encore Féminimasculin au Centre Pompidou (2005), explorant le genre dans l’art.