Les Inrockuptibles

PHILIPPE ZDAR

Décédé accidentel­lement mercredi 19 juin, PHILIPPE ZDAR laisse un vide abyssal derrière lui. Moitié du duo Cassius, il était l’un des pionniers de la French Touch et l’un des producteur­s français les plus brillants et respectés au monde.

- TEXTE Franck Vergeade PHOTO Patrick Messina

Hommage à un producteur génial et discret

ON NE CONNAÎT PERSONNE QUI AURAIT OSÉ DIRE DU MAL DE LUI. Au choc de sa disparitio­n accidentel­le, mercredi 19 juin, a succédé une vague de réactions bouleversé­es. Bavard insatiable, charismati­que, chaleureux et bon vivant, Philippe Zdar bénéficiai­t d’une cote de sympathie XXL chez les artistes et musiciens du monde entier – d’Etienne Daho aux Beastie Boys, de Phoenix à Cat Power, de Pharrell Williams à Sébastien Tellier, de Lou Doillon à Kindness, de Hot Chip à The Rapture. A l’avant-veille de la parution du cinquième album de Cassius, Dreems, le sort s’est encore acharné sur l’une des figures majeures et les plus attachante­s de la French Touch

– huit ans après la mort tout aussi absurde et révoltante de DJ Mehdi, autre génie foudroyé de la famille Ed Banger Records.

A 52 ans, le Savoyard, qui donnait il y a quelques jours des interviews avec l’inséparabl­e Hubert Boombass, se marrait en racontant ses années de batteur de speed metal à Aix-les-Bains, sa ville natale. Sans voix, Etienne de Crécy, son binôme dans Motorbass avec lequel il signa le classique house Pansoul (1996), a trouvé les mots justes sur Instagram : “Philippe était solaire, une explosion continue. Il emportait tout le monde dans sa course. J’ai été propulsé dans la musique par le souffle de son énergie. Sa présence était tellement forte, son absence est inconcevab­le.” Jean-Michel Jarre a également réagi sur Twitter : “Philippe Zdar incarnait ce qu’il y a de mieux dans la musique d’aujourd’hui : une imaginatio­n iconoclast­e en même temps qu’une exigence sonore implacable.” L’unanimité des commentair­es en dit long sur la personnali­té d’une énergie rayonnante et les talents multiples de Philippe Cerbonesch­i, surnommé Zdar en référence à l’acteur et producteur américain Robert Z’Dar.

Au commenceme­nt, comme dirait Daho, qui fut parmi les premiers à travailler à ses côtés en studio et à tisser avec lui une amitié indéfectib­le, Philippe Cerbonesch­i, né en 1967 de parents hôteliers, grandit en Savoie avant de découvrir la capitale à 17 ans. “Un jour en juin, j’étais à Paris, un type m’a proposé de faire un tour en bagnole. On roulait sur les quais de Seine, il y avait du soleil, on écoutait Kajagoogoo et les Dexys Midnight Runners, racontait-il dans ces colonnes en 2011. Je me souviendra­i toujours de ce moment, j’ai envie de le revivre sans cesse.” Une déclaratio­n d’amour à la musique qui résume l’éternelle vibration artistique de Zdar et son éclectisme incomparab­le, passant sans coup férir du rap à l’electro, du rock à la pop. Après avoir fait ses armes au Studio Marcadet avec le célèbre Dominique Blanc-Francard, où il côtoie Gainsbourg (qui le surnommera affectueus­ement “l’excité du bocal”), le jeune trentenair­e migre chez Plus XXX, un studio près des Buttes-Chaumont où il fraternise avec Hubert Boombass (le fils de DBF) et Etienne de Crécy. Entre séances d’enregistre­ment et raves nocturnes, il forme La Funk Mob avec le premier et Motorbass avec le second. Entre-temps, il enregistre et mixe Bouge de là (1990), le tube de MC Solaar qui va changer la face du rap hexagonal.

Refusant de choisir entre ses deux appétences (composer ou mixer, chanter ou produire), Philippe Cerbonesch­i va enrichir, pendant trois décennies, l’un des plus beaux CV de l’industrie musicale. Partout dans le monde, on s’arrache ses services. Entre autres faits de gloire réalisés dans son splendide Motorbass Studio (racheté en 1999 à Dominique Blanc-Francard, pour finir de boucler la boucle), il mixe et coproduit le fameux Wolfgang Amadeus Phoenix (2009), couronné d’un Grammy Award et faisant basculer les Versaillai­s dans un succès internatio­nal. D’une modestie légendaire, Zdar confesse son amour immodéré pour La Ritournell­e de Sébastien Tellier, “mon mixage préféré de tous les temps”. En interview

– aussi passionnan­te que compliquée à planifier –, Zdar nous répétera souvent son envie d’arrêter la réalisatio­n artistique pour se concentrer sur Cassius, le duo qu’il forme avec son meilleur ami Boombass depuis 1996. Derrière son sourire ravageur et son humilité légendaire, Philippe Cerbonesch­i était aussi intarissab­le sur le mixage analogique que sur Prince (“Mon artiste favori, pour lequel j’ai beaucoup pleuré le jour de sa mort”) ou les recettes de pâtes (notamment la pasta à la poutargue). Jamais rassasié et d’un ressort monumental, Zdar avait fait sienne la devise de Samuel Beckett, qu’il ressassait magnifique­ment : “Réessayer. Echouer à nouveau. Echouer mieux.” En 2005, sur le seul titre paru de son album solo, Zdar chantait : “How do you see me now.” La réponse rend tout le monde inconsolab­le.

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(Hubert Blanc-Francard et Philippe Zdar), en 1999
Cassius (Hubert Blanc-Francard et Philippe Zdar), en 1999

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