Les Inrockuptibles

UN TEMPS D’AVANCE

- Propos recueillis par Carole Boinet, François Moreau et Franck Vergeade

Dès ses débuts en tant qu’assistant producteur, Philippe Zdar s’est singularis­é par son intuition et son attention aux autres. COLLABORAT­EURS DEVENUS AMIS, les artistes qui l’ont sollicité saluent d’une seule voix son génie et son exceptionn­elle gentilless­e.

David Blot (Radio Nova) :

“Un frérot”

“On s’était rencontrés il y a vingt-six ans dans une émission de Radio Nova avec Loïk Dury. On passait souvent les production­s de Zdar et Boombass sous l’alias de La Funk Mob – un nom excitant car ils faisaient partie des rares producteur­s français à avoir un son moderne. Signé sur un label étranger en vogue, Mo’ Wax, ils étaient les ancêtres de la French Touch. C’était notre première rencontre et il y eut depuis un enchaîneme­nt de souvenirs non-stop. Philippe a toujours été là. Cassius a souvent participé aux soirées Respect, en particulie­r lors de notre première date à New York, en 1999, avec Daft Punk, François Kevorkian et Romanthony. Dans Cassius, il y avait une alchimie particuliè­re et une énergie foutraque comme dans New Order. Humainemen­t, Philippe était une crème – il faisait des hugs à tout le monde. C’était un frérot.”

Sébastien Tellier :

“Riche, extravagan­t et solaire”

“Le monde va être moins fun et plus tristoune sans Philippe. C’était un personnage riche, extravagan­t et solaire. Il faisait partie des mecs avec qui on ne s’ennuyait jamais. J’ai découvert l’homme de studio quand Philippe a mixé mon deuxième album, Politics (2004). Il était même capable de mixer en rollers ! Pour La Ritournell­e, il a mis cinq jours pour mixer la chanson au millimètre près. Une fois que les bandes étaient entre ses mains, on pouvait dormir tranquille. C’était une locomotive. Il avait toujours un temps d’avance. Le mixage était son art, comme un peintre devant son tableau. Sur mon prochain album, il y aura une chanson enregistré­e avec lui. On l’entendra même chanter. Cette perspectiv­e permet de me raccrocher à quelque chose dans ces jours infiniment tristes. Les gens connaissen­t le musicien et le producteur, mais le vrai Zdar, c’était aussi son lifestyle. En parfait hédoniste, il savait recevoir.”

Phoenix : “Un génie absolu” “Philippe était fabuleux. Bien sûr, notre musique lui doit tant, lui qui a passé des centaines et des centaines d’heures à nous soulever au seul souffle de son talent, de son enthousias­me et de sa bonté. Mais bien plus encore, il nous a enseigné que l’on pouvait élever sa vie, l’amitié, l’amour au rang d’art majeur. Dans tous ces domaines, c’était un génie absolu.”

Alexis Taylor (Hot Chip) :

“Une générosité d’esprit”

“Philippe Zdar était si plein de vie et d’énergie, de flamboyanc­e et d’esprit, mais aussi de mots gentils et de conseils avisés envers ceux avec qui il travaillai­t que c’est profondéme­nt choquant de penser qu’il n’est plus avec nous aujourd’hui. Dans le laps de temps court mais intense où j’ai eu le plaisir de le côtoyer, je me suis fait un véritable ami et j’ai été inspiré par son travail et sa générosité d’esprit.”

Luke Jenner (The Rapture) :

“Je ne connais personne qui ne l’aimait pas”

“J’ai appris beaucoup de choses avec Philippe. Comme le fait que la musique n’a pas besoin de faire mal pour être bonne : tu peux être un mec cool, avoir une famille, être un bon père et faire que tout cela aille bien ensemble. Je ne connais personne qui ne l’aimait pas. C’est l’un de ceux avec qui j’ai préféré aller en studio, parce qu’il aimait tellement cela. Il s’intéressai­t aux détails, à la technique, mais ce qui importait surtout pour lui, c’était de susciter une énergie créatrice. Le studio n’était qu’une extension de l’homme. Il ne se préoccupai­t pas du travail à proprement parler, dans le sens où tout ce qui comptait pour lui, c’était de profiter de l’instant. Je me rappelle de son rire, si spécifique. Si profond. J’ai connu peu de gens comme lui dans ma vie.”

Adam Bainbridge (Kindness) : “Un producteur d’exception” “Philippe était toujours surmené, embarqué sur un projet, sauf quand il était en vacances. Et quand c’était le cas, tout le monde désespérai­t de le voir revenir. S’il était aussi occupé et fatigué, parfois, c’est parce qu’il avait beaucoup d’amis dans la musique. Il était talentueux, ambitieux, très demandé et répondait toujours présent. J’ai attendu longtemps qu’il soit disponible. La vérité, c’est qu’il était le seul avec qui je pouvais faire mon nouveau disque. C’était un génie du mixage et un producteur d’exception. La production, c’est 80 % de psychologi­e et 20 % d’intuition musicale – Philippe avait un talent intarissab­le dans ces deux domaines. Il pouvait être impatient, hilarant, arrogant. C’était surtout la meilleure personne du monde. La musique était tout pour lui, mais l’amitié et l’amour venaient en premier. Quand tu croises le chemin de quelqu’un comme lui, tu fais en sorte qu’il ne sorte jamais de ta vie.”

Etienne Daho :

“Son énergie contaminai­t les autres” “Je suis complèteme­nt assommé. Philippe a fait ses premières séances avec moi. Fin 1987, j’enregistra­is Pour nos vies martiennes au studio Marcadet, où il était l’assistant de Dominique Blanc-Francard. Il avait une énergie, un charisme et une voix qui le rendaient déjà singulier.

Il avait vraiment ce truc en plus et j’ai su immédiatem­ent qu’il irait très loin. Son énergie contaminai­t les autres. Nous sommes rapidement devenus très amis. Philippe débarquait de Savoie et il est venu habiter chez moi quelque temps. Philippe est un fil rouge dans ma discograph­ie, que ce soit comme assistant, mixeur ou remixeur. Il m’appelait ‘mon D’, je l’appelais ‘mon Z’. On s’envoyait régulièrem­ent des messages. Il était dans ma vie. Je me souviens quand il m’avait fait écouter son album solo sur une plage d’Ibiza. Il chantait magnifique­ment et on y entendait son côté sentimenta­l. Je lui ai souvent demandé pourquoi ce disque n’était jamais sorti. C’est très difficile de réaliser qu’il n’est plus là aujourd’hui. C’est une grande perte pour sa famille, ses amis et la musique. Sa mort est irréelle.”

Dominique Blanc-Francard :

“Sa vision musculaire du son”

“Je suis rempli d’images de Philippe Zdar… Notre rencontre au Studio Marcadet en 1987, alors tout jeune débutant mais déjà fou de son, ingénieux et capable de trouver une solution à tout problème… Puis ensuite au studio Plus XXX, où nous avions eu le plaisir de travailler ensemble avec Gainsbourg et tant d’autres… La rencontre avec mon fils Hubert, le début de leur amitié et collaborat­ion, MC Solaar, Nouveau Western, le premier album de Sinclair dans un appartemen­t, puis le Labomatic, le premier album de Cassius en 1999, la joie partagée quand il racheta le studio rue des Martyrs qui fut le mien en 1983 et qu’il rebaptisa Motorbass, son énergie inépuisabl­e, son sourire, sa vision musculaire du son, sa passion pour l’analogue vintage qui transforma son studio en caverne d’Ali Baba… Je revois tout ça et j’essaye de ne garder que des images fortes d’un gamin passionné qui réussit à vivre son rêve et à croiser la route des plus grands en restant humble comme le sont toujours les gens talentueux. Inoubliabl­e.”

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Sessions d’enregistre­ment de l’album Wolfgang Amadeus Phoenix de Phoenix au Motorbass studio en 2009
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Etienne Daho et Philippe Zdar

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