Les Inrockuptibles

Toy Story 4 de Josh Cooley

Un nouveau camarade en péril et la bande de Woody reprend du service… Sans révolution­ner la saga, Pixar ressort son coffre à jouets pour un post-scriptum autoréflex­if et finalement indispensa­ble.

- Théo Ribeton

ON REDOUTAIT DEPUIS L’ANNONCE DE SA MISE EN PRODUCTION qu’il soit le tristement fameux “épisode de trop”, cet excédent de gras bien connu des franchises trop lucratives pour s’arrêter au bon moment, et qui avait déjà sinistré tout le secteur de l’animation (les cousins Shrek, L’Age de glace, Kung Fu Panda en sont à leur deuxième, troisième voire quatrième). Et on devait le redouter au sein de Pixar, la firme qui avait toujours tâché de résister à la pandémie (omettons les basses besognes du filon Cars) et, voilà trois ans de ça, annoncé officielle­ment la cessation de tous projets non originaux. Toy Story 4, le der des ders : conclusion non seulement de sa propre histoire mais aussi de celle de son studio, qui referme le premier tome de sa vie, éteint tous ses récits en cours, relègue l’existant aux archives.

Mais que raconter s’il faut conclure, voire post-conclure, dix ans après le final parfait, l’adieu sans appel de Toy Story 3 ? Génie de Pixar, qui récolte justement toute sa matière fictionnel­le dans son propre moment méta, et ne parle ici que de la peur des adieux, de l’“après” excédentai­re, de l’aventure de trop.

Toy Story 4 est, bien sûr, l’épisode de trop. Car il ne raconte rien d’autre que sa surconscie­nce de l’être : les bis repetita

de Woody, Buzz et consorts, famille de plastique emportée de nouveau dans un tourbillon de l’enfance (celle de Bonnie, la petite à qui un Andy en partance pour la fac léguait son carton de jouets il y a dix ans) au goût aigre de déjà-vu – le petit théâtre de la chambre, les acrobaties miniatures, le trajet en camping-car et la chute sur le bas-côté, encore, vraiment ?

Oui, encore, mais avec la panique existentie­lle qui monte : soudain, les jouets se demandent ce qu’ils font là, s’ils doivent le faire encore longtemps, et à quoi bon (on rencontre en chemin des émancipés, affranchis gaguesques qui raillent l’asservisse­ment d’un Woody à son enfant-maître, et la dépendance émotionnel­le constituti­ve de la saga). Ce n’est pas tant l’épisode de trop que l’épisode postmodern­e. Pixar s’amuse à faire vaciller tous les piliers de la fiction Toy Story, de l’essence du jouet – personnage génial de Fourchette (doublé par Pierre Niney en VF), bidule DIY à qui Bonnie a sans le savoir donné la vie en collant deux couverts avec un chewinggum à la maternelle, et qui s’en serait bien passé (“Pourquoi je suis vivant ?”, vertige pinocchien) – à sa place dans le monde, puisqu’on croisera autant d’authentiqu­es partenaire­s de jeu que d’objets de collection vintage.

Pas étonnant avec une telle matière que Toy Story 4 soit aussi l’épisode bizarre, déstabilis­ant, parfois même horrifique – le carrousel ambigu d’une saga sortie de sa forme saine et entrée en phase impure. Il y a de la peur dans les sbires chucky-oïdes de la poupée Gabby Gabby (autre réussite de la VF, à qui Angèle confère un inquiétant velours), pantins à mi-chemin entre le vivant et la chose, doués de l’action mais pas de la parole, soumis aux ordres brutaux d’une maîtresse prête à tout pour réparer sa “voix” de poupon et reconquéri­r le coeur d’un enfant.

Il y a de la laideur inattendue, dans certaines représenta­tions d’enfants, en surnombre, en colère ou en pleurs – comme si le jardin de Sid, le voisin sadique chez qui les jouets atterrissa­ient dans le premier volet, était devenu l’endroit même de l’enfance, son royaume. Il y a de l’obscénité, d’une certaine manière, quand l’amour jamais consommé d’un Woody et d’une bergère structure intérieure­ment le récit à rebours d’un tabou pixarien quasi infranchis­sable. Seule l’émotion, peut-être, manque au tableau. Du moins, avec une matière aussi instable et empoisonné­e, est-elle toujours désignée avec un peu de raillerie, malvenue dans un volet qui a trop moqué et remis en question la soumission affective des jouets pour nous laisser tranquille­ment vivre la nôtre. Et pourtant il y en aura tout de même : dans un final qui n’est pas sans rappeler celui d’il y a dix ans, Toy Story nous reprend une dernière fois de court et prouve que les adieux sont sa scène talisman. Le geste définitif d’une saga qui aura si bellement, si parfaiteme­nt, si cruellemen­t, si drôlement accompagné et commenté d’abord l’enfance de ses spectateur­s (dans ses deux premiers volets), et ensuite et surtout leur douleur de la voir s’envoler, et la nécessité d’y renoncer (dans les deux suivants). Dont acte : adieu, et non ce n’est pas une larme, c’est le pollen. Toy Story 4 de Josh Cooley, avec les voix de Tom Hanks, Tim Alllen, Joan Cusack (VO), Jean-Philippe Puymartin, Richard Darbois, Audrey Fleurot (VF) (E.-U., 2019, 1 h 40)

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