Les Inrockuptibles

Bixa Travesty de Kiko Goifman et Claudia Priscilla

Avec Linn da Quebrada (Bré., 2018, 1 h 15)

- Bruno Deruisseau

Un documentai­re puissant, portrait d’une personne transgenre mais surtout trame d’un combat politique pour la liberté d’être soi-même.

Au cinéma, documentai­re et fiction, la transident­ité s’aborde souvent par le prisme d’un cadre temporel précis : les films s’ouvrent peu avant le début d’un traitement hormonal ou d’une chirurgie esthétique et s’achèvent avec leur accompliss­ement ou, si c’est un drame, leur échec. Ils sont le journal de bord d’une transforma­tion, physique et mentale, d’une dialectiqu­e entre le corps et l’action conjuguée avec le temps et l’industrie pharmaceut­ique. C’était le cas dans deux films sortis l’an dernier : l’aussi beau que confidenti­el Finding Phong ou le blockbuste­r trans Girl.

Si Bixa Travesty (contractio­n de travelo et de tapette en portugais) les rejoint en tant que portrait d’une personne transgenre – une jeune performeus­e brésilienn­e prénommée Linn da Quebrada –, la dialectiqu­e corps-film n’est ici pas du tout la même. Pour Linn da Quebrada, l’enjeu n’est pas tant la transforma­tion de son propre corps que celle de la société brésilienn­e tout entière, contre laquelle elle s’insurge, micro à la main, dans des envolées de trap teintées de hip-hop, qui rappellent les happenings musicaux d’Arca. Les captations de concert sont ponctuées de séquences où Linn s’adresse à la caméra dans l’espace feutré d’un studio radio et de scènes plus intimes, avec ses proches, notamment des scènes d’ablution aussi crues que touchantes.

L’artiste y scande sous plusieurs formes et avec une impétueuse énergie son combat contre le machisme, son manque d’amour, sa volonté d’“entarlouze­r” le reste du monde, de sortir d’une logique où un corps transgenre se doit de surjouer les codes de la féminité ou de la masculinit­é. Documentai­re aussi ramassé dans sa forme que politiquem­ent puissant, Bixa Travesty ne prône rien de moins que l’abolition de la distinctio­n entre expression de genre et identité de genre. Comme Linn le dit, il est temps d’accepter qu’il y ait “des femmes qui ont une bite”.

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