Together Alone de P. J. Castellaneta
Deux hommes se rencontrent dans un bar, font l’amour puis parlent longuement de leur sexualité hantée par le sida. Reprise inspirée d’un chef-d’oeuvre méconnu du New Queer Cinema des années 1990.
ON CONNAÎT BIEN LE CINÉMA DE CHAMBRE (GARREL, EUSTACHE), moins le cinéma de lit… et encore moins celui de
P. J. Castellaneta. C’est pourtant sur l’îlot moelleux d’un petit studio tamisé que se tient l’entièreté du récit de Together Alone, film méconnu de 1991 réalisé par le tout aussi inconnu P. J. Castellaneta qui ressort ce mercredi dans les salles. Autoproduit par le cinéaste américain et tourné avec un budget dérisoire dans son propre appartement, Together Alone ne renaît pourtant pas des abysses. Le film avait acquis un petit succès en festival en même temps que l’admiration de quelques fidèles en remportant le prix Teddy Award du meilleur film LGBT. Car sous ses airs de huis clos fauché, Together Alone vise une grande ambition : enregistrer son époque et faire la somme des problématiques queer qui la traversent.
Deux hommes se sont rencontrés dans un bar, ils ont fait l’amour. Quelques heures plus tard, au beau milieu de la nuit le même mauvais rêve les tire de leur sommeil. Ils se mettent alors à parler. Le premier est blond et s’appelle Bryan, le second est brun et s’appelle Brian. Pourtant lors de son réveil, Bryan est persuadé que le nom donné plus tôt dans la soirée par son partenaire était Bill. “Si tu me mens sur ton vrai nom, comment avoir confiance au lit ?” Nous sommes au début des années 1990 et les deux hommes viennent de coucher sans capote. Le songe fait par les deux hommes était-il un funeste présage de leur contamination par la maladie ? A partir de cette séropositivité ou non des corps, mystère flottant et irrésolu du film, se tisse un dialogue qui fera éclore les divergences des deux individus sur leurs orientations et préférences sexuelles, sur la question du sida et du féminisme. Le lit des amants se meut en un théâtre des angoisses du présent, de l’exploration du désir et des questionnements existentiels qui brillent par leur extrême actualité près de trente ans après la sortie du film.
Together Alone pourrait être un sommet de didactisme sur la culture LGBT sauf que Castellaneta envisage la parole comme une matière vivante, en perpétuel mouvement, à la fois littéraire, analytique et sensuelle, puisant dans le théâtre, le romanesque, le documentaire et où les mots viennent un coup frapper l’autre en plein thorax puis enlacer ses peines quelques minutes plus tard. Visuellement, la longue conversation entre les deux hommes tient autant du ballet (les travellings élégants qui accompagnent les étreintes des amants) que du jeu de société (les deux corps sont allongés sur un drap de lit en damier et semblent s’affronter comme deux pions géants). Double face d’une même pièce, mi-confidents mi-adversaires, les mêmes à une lettre près, Bryan et Brian ne sont pourtant ni tout à fait jeton blanc ni jeton noir. Chacun loge dans l’interstice et Together Alone saisit sublimement cet espace, entre la nuit et le jour, d’un lit où peut-être est née la mort mais d’où a jailli la vie.
Together Alone de P. J. Castellaneta, avec Todd Stites, Terry Curry (E.-U., 1991, 1 h 27 reprise)