Journal de France
Critique et historien de cinéma, Noël Herpe fait dans Souvenirs/Ecran le récit de son périple dans les salles art et essai françaises. Un état des lieux cocasse et touchant de la cinéphilie en 2019. Récit d’un antivoyage, Souvenirs/Ecran fait la jonction entre les deux facettes de Noël Herpe : l’écrivaindiariste auteur, entre autres, de Journal en ruines (2011) et d’Objet rejeté par la mer (2016), et l’historien du cinéma français. Commissaire de l’exposition Clouzot à la Cinémathèque, Herpe a sillonné, entre 2017 et 2018, une quarantaine de villes pour présenter les films du cinéaste, tenant méthodiquement le journal de chaque étape. Il y a dans Souvenirs/Ecran la marque des vrais diaristes : capables de trouver la rêverie cachée derrière l’insignifiance du fait, de plonger dans les apparences monotones d’une mission culturelle pour recueillir une matière littéraire extrêmement juste où s’y croisent des personnages familiers : le jeune lecteur des Cahiers qui rêve de la capitale, l’exploitant art et essai qui tient bon face au multiplexe de la ville, l’excentrique local qui annonce que “Quai des Orfèvres est repassé la veille sur Arte”, le directeur d’un cinéma qui a eu un “coup de foudre pour cette région”... Avec un amour exaspéré, Herpe orchestre une petite comédie humaine, cherchant parmi les visages et les paysages croisés le fantôme d’une rencontre impossible, guettant, comme un rôdeur, une épiphanie qui peine à poindre dans cette France “où tout a déjà eu lieu”. On sent ici la malédiction du cinéphile, cette figure inactuelle, pris au piège des mêmes séquences, des mêmes personnages qui récitent (à commencer par lui) les mêmes dialogues sur les marronniers du moment : l’ère MeToo, l’inculture des jeunes générations ou le piètre état du cinéma français. Sous la série de saynètes (souvent hilarantes) se dessine le récit de la folie de son auteur (et la nôtre) prisonnier d’un film intime, qui tourne en boucle jusqu’à épuisement, celui de sa propre conscience.
Souvenirs/Ecran de Noël Herpe (Bartillat), 240 p., 20 €