Léonard Billot
Le livre de toujours : Jours tranquilles, brèves rencontres d’Eve Babitz. Quintessence du cool californien, Eve Babitz fut une mondaine acerbe et une romancière météorique. Muse et artiste trop injustement méconnue, elle traversa les années 1960 et 1970 une flûte de champagne dans une main, un stylo dans l’autre. Jouant parfois nue aux échecs avec Marcel Duchamp ou sortant avec Jim Morrison. Dans Jours tranquilles, brèves rencontres, recueil d’instantanés made in LA pétillants, elle nous balade de soirées huppées en cocktails au Chateau Marmont, dans une valse étourdissante de désirs, de paillettes et de Sirocco. Eve Babitz est solaire, élégante et superficielle. Bref, essentielle.
Le livre de l’année à offrir : Nino dans la nuit de Capucine et Simon Johannin. Après avoir dynamité 2017 avec L’Eté des charognes (Allia), Simon Johannin, en duo avec sa moitié Capucine, a illuminé les ténèbres de l’hiver 2019 avec Nino dans la nuit, un deuxième texte tout aussi explosif. Deux cent quatre-vingts pages d’une écriture stroboscopique pour raconter la passion fiévreuse de Nino et Lale, amants maudits du béton francilien qui carburent aux plaisirs stupéfiants pour dérober à l’existence des gros blocs de joies artificielles. Ensorcelant comme une teuf crépusculaire, leur roman magnifie la rage sociale et la beauté noctambule de cette génération “qui va gagner moins que celle de ses parents”, mais à qui demain appartient. Que la fête commence !
Le livre qui se dévore : Success Story de Johann Zarka et Romain Ternaux. La recette du bonheur contemporain ? Sport, yoga et bouffe vegan. Ou alors… Dans une parodie jubilatoire de ces feel-good books avec happy ends et conseils healty à la carte, Johann Zarca et Romain Ternaux prennent tous les contre-pieds du genre et imaginent la grosse “té-mon” d’Anna, une jeune prof acariâtre, méchante et solitaire que l’abus de drogues va révéler à elle-même. Avec la MD pour aimer, le LSD pour créer et la coke pour travailler, cette antihéroïne déglinguée va rapidement connaître amour, gloire et beauté. Un shoot de provoc et d’humour, garanti sans bad trip.
Le livre que je vais emporter : In Utero de Julien Blanc-Gras (en plus des six cent trente romans de la rentrée littéraire d’automne que je me fais un devoir de lire intégralement pour Les Inrocks, évidemment). Pour des raisons extrêmement autocentrées. In Utero est le journal de bord hilarant et érudit des neuf mois de grossesse chroniqués par un futur père. Habitué des échappées au long cours, Julien Blanc-Gras a remisé ses valises pour ce voyage autour du ventre de sa femme. C’est en chaussettes et en panique qu’il attend son enfant et raconte cette aventure inédite pour lui (comme pour moi) avec une autodérision inquiète et réjouissante. Est-il raisonnable de se reproduire dans ce monde déjà surpeuplé ? Est-il correct d’accoucher en chaussettes ? Bref, un récit existentiel, émouvant et moderne. Dolto n’a qu’à bien se tenir !
Jours tranquilles, brèves rencontres d’Eve Babitz (Gallmeister), traduit de l’anglais (E.-U.) par Gwilym Tonnerre, 240 p., 11 €
Nino dans la nuit de Capucine et Simon Johannin (Allia), 288 p., 14 €
Success Story de Johann Zarka et Romain Ternaux (Editions Goutte d’or), 322 p., 17 €
In Utero de Julien Blanc-Gras (Livre de Poche), 192 p., 6,70 €