Les Inrockuptibles

Mario des sources

SUPER MARIO MAKER 2, nouvelle aventure du héros universel des jeux vidéo de plate-forme, invite ses fans à créer leur propre parcours dans un sentiment de liberté et avec le pouvoir secret de changer d’époque.

- Erwan Higuinen

CE DOIT ÊTRE UN RETOUR

AUX RACINES. APRÈS AVOIR EXERCÉ, AU MOINS OFFICIELLE­MENT, les nobles profession­s de charpentie­r (dans le premier Donkey Kong, 1981) puis de plombier, c’est coiffé d’un casque de chantier que Mario se présente à nous dans sa nouvelle aventure. Mais Super Mario Maker 2, qui prolonge, développe et enrichit la propositio­n de l’épisode 1 de 2015, n’est pas un Mario comme les autres : c’est un (vrai) jeu, avec plein de chouettes niveaux de plate-forme en 2D, mais, aussi, un système permettant à chacun de concevoir ses propres parcours avant de les publier sur internet. Tout en s’essayant à ceux, absurdes ou brillants, cruels ou trippants, conçus à l’autre bout du monde par des inconnus à qui on ne manquera pas de signifier notre respect – “Cool”, toi.

Sur bien des plans, Super Mario Maker 2 est dans l’air du temps. Si la série LittleBigP­lanet, qui lui avait ouvert la voie à la fin des années 2000, est en sommeil, l’idée que le joueur peut aussi devenir un créateur, reste au centre des deux jeux les plus populaires du monde : Minecraft (91 millions de joueurs actifs par mois) et, dans une moindre mesure, Fortnite

(78 millions). Sans parler des jeux Lego, Dragon Quest Builders (dont l’épisode 2 arrive le 12 juillet), ou du récent PixARK…

Mario ne serait donc qu’un suiveur ? Peut-être, mais doté d’un sérieux avantage sur les autres : celui d’être Mario, justement, soit ce qui se rapproche

le plus d’un langage universel du jeu vidéo. Concevoir un niveau de Mario revient un peu, disons, à composer une chanson des Beatles. On n’y croit pas trop. On ne sait pas par où commencer. On n’est même pas sûr d’avoir le droit. Mais en fait si, et c’est le premier plaisir que provoque Super Mario Maker 2 : l’opération tient également de la désacralis­ation. Puisque, comme tous les héros de son rang (Mickey, Tarzan, Tintin…), Mario en est venu à appartenir un peu à chacun, pourquoi ne pas donner franchemen­t les clés de la maison à ses fans ?

Sur les niveaux conçus par ses premiers joueurs comme sur ceux des designers de Nintendo souffle un esprit différent de celui des Mario habituels. Les “briques” sont celles que l’on a toujours connues (plates-formes fixes ou mobiles, blocs, bestioles diverses…), mais quelque chose a changé dans leur assemblage, qui se fait plus conceptuel et inattendu, voire transgress­if. En abandonnan­t le principe des mondes thématique­s (neige, mer, désert…),

Super Mario Maker 2 redonne toute son importance au niveau, cette portion d’espace-temps précisémen­t délimitée qui

Concevoir un niveau pour Mario revient, un peu, à composer une chanson des Beatles.

se donne ici comme une oeuvre autonome autant que comme un défi à relever. Le principal résultat de ce pas de côté est un formidable sentiment de liberté.

L’objectif de Super Mario Maker 2 est en partie pédagogiqu­e et fait écho aux initiative­s toujours plus nombreuses pour la création numérique (la console rétro Gamebuino pour apprendre à programmer, l’école Tumo Paris…). Mais il témoigne aussi d’un virage de son éditeur qui, avec les kits Nintendo Labo (accessoire­s en carton, mini-jeux, programmat­ion), la grande foire aux héros de jeux qu’est devenu Super Smash Bros. Ultimate ou la sortie récente de Cadence of Hyrule, spin-off dansant de la saga Zelda conçu par un petit studio canadien, semble ouvrir portes et fenêtres à la célébratio­n des joies du mélange et du do-it-yourself après avoir longtemps gardé jalousemen­t ses “propriétés intellectu­elles”.

Le plus émouvant est encore ailleurs. Au cours de la conception d’un niveau de Super Mario Maker 2 est toujours offerte la possibilit­é de changer de “style”. Mais le style, ici, c’est aussi l’époque : celle du premier Super Mario Bros. (1985), de Super Mario World (1990), de Super Mario 3D World (2013)… De l’un à l’autre, la différence est graphique, sonore, ludique et le passage immédiat de l’un à l’autre se révèle très troublant. Ici réside le petit pouvoir secret de

Super Mario Maker 2, qui ne fait pas seulement de nous des apprentis level designers. Ce qu’il nous invite à sculpter réellement, c’est la mémoire et le temps. Super Mario Maker 2 (Nintendo), sur Switch, environ 50 €, à paraître le 28 juin

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