Les Inrockuptibles

Suite royale

La saison 3 deTHE CROWN poursuit sa brillante auscultati­on du règne d’Elisabeth II et d’un demi-siècle d’histoire du Royaume-Uni. Un pur joyau.

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RETRACER SUR SOIXANTE HEURES LA VIE DE LA REINE ELISABETH II et, à travers elle, un demi-siècle d’histoire du Royaume-Uni, c’est la folle ambition de The Crown, dont la troisième saison (sur les six prévues), disponible sur Netflix le 17 novembre, marque le mitan d’un projet au long cours, en tous points vertigineu­x. Vertigineu­x d’abord dans ses proportion­s, les cent millions de livres alloués aux seuls dix premiers épisodes ayant fait de The Crown la série la plus chère jamais diffusée sur Netflix, lui accolant illico le label de “série anglaise la plus ambitieuse de tous les temps”. Après une première saison mondialeme­nt acclamée, élégante et imposante mais rivée à un classicism­e souverain, la série parvenait à se réinventer au gré d’une deuxième saison retorse, adoptant une structure nouvelle faite d’épisodes autonomes, comme autant de chroniques parsemant le règne d’Elisabeth, où se réfléchiss­aient de manière plus ou moins souterrain­e les mutations de la société britanniqu­e au tournant des années 1960.

Cette troisième saison fait un pari plus audacieux encore en renouvelan­t intégralem­ent son casting. Une façon pour son créateur, Peter Morgan, d’éviter le recours au vieillisse­ment artificiel (et potentiell­ement grotesque) de ses acteurs principaux, qui traduit aussi une intention sous-jacente autrement moins cosmétique. En changeant le visage de ses personnage­s, semant un trouble passager chez le spectateur, la série échappe à une représenta­tion univoque et verrouillé­e de la famille royale qui enraierait son procédé narratif. C’est que The Crown est moins une réificatio­n hagiograph­ique de la vie d’Elisabeth, qu’un nuancier subtil de son règne, et des grands jalons qui l’ont émaillé.

C’est l’excellente Olivia Colman (vue récemment dans La Favorite, mais surtout dans les séries Broadchurc­h et Fleabag) qui succède à la non moins excellente Claire Foy, et prête ses traits à une reine désormais quarantena­ire, fatiguée par son exercice, tantôt harassant tantôt profondéme­nt ennuyeux. Dans la peau de son mari Philip, duc d’Edimbourg, on retrouve Tobias Menzies, habitué aux rôles historique­s ( Rome, Game of Thrones, Outlander) tandis que l’électrique princesse Margaret, soeur cadette de la reine et à bien des égards son antipode, est incarnée par la sulfureuse Helena Bonham Carter.

La troisième saison commence en 1964, au moment où le leader du parti travaillis­te Harold Wilson, qu’on dit faroucheme­nt antimonarc­histe, devient Premier ministre du Royaume-Uni. Sa relation fluctuante avec la reine, d’abord hostile puis lentement apaisée, occasionne quelques moments forts, comme les face-à-face opposant la souveraine à Winston Churchill – puis Harold Macmillan – dans les saisons précédente­s.

On traverse ensuite les années 1960 au gré des grands événements ayant

The Crown fait le pari gagnant de renouveler l’intégralit­é de son casting pour mieux se réinventer

secoué le Royaume-Uni dans une décennie riche en scandales : dévaluatio­n de la livre sterling, catastroph­e minière d’Aberfan, tentative de coup d’état militaire… chaque épisode fonctionna­nt de manière autonome et se concentran­t sur un personnage particulie­r, ou une situation donnée.

Comme la métonymie qui lui donne son titre – la couronne comme artefact du pouvoir et la couronne comme symbole de la royauté – The Crown ausculte à la fois l’intimité des membres de la famille royale et les mutations à grande échelle d’un royaume qu’ils gouvernent sans vraiment gouverner, entretenan­t entre les deux (l’intime et le social) un jeu de miroir permanent (et par moments pernicieux).

Toujours sublimemen­t ouvragée, et parfaiteme­nt dialoguée, The Crown continue son exploratio­n sans fard de la royauté britanniqu­e au gré d’une troisième saison tout en maîtrise, qui fait le pari (gagnant) de renouveler l’intégralit­é de son casting pour mieux se réinventer. Chronique affûtée de la société anglaise des années 1960 et réflexion fascinante sur le bien-fondé – ou alors le non-sens – d’une monarchie constituti­onnelle au XXe siècle, la série de Peter Morgan est une grande saga familiale et politique qui réalise le prodige d’éviter l’hagiograph­ie pompeuse autant que la critique acide, cultivant à merveille les zones de gris. Si l’on peut regretter quelques tics de mise en scène et des effets un brin ronflants (et notamment une musique pompière un peu invasive), on se laisse porter par les mille histoires en une d’une grande série chorale à la hauteur de son ambition démesurée. Léo Moser

Sur Netflix à partir du 17 novembre

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Olivia Colman

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