Les Echappées
Lucie Taïeb Editions de l’Ogre, 180 p., 18 €
Dans une langue hypnotique, la poétesse et romancière ausculte les possibilités de l’insoumission face à la violence et au totalitarisme. “Nous ne sommes pas à l’abri, la frappe est imminente, seuls les insensés ou les subversifs en doutent.” Dans une société totalitaire entièrement dévouée au travail, des haut-parleurs diffusent en permanence des messages menaçants. Pour asservir les corps, il faut d’abord annihiler les esprits. Au sein des entreprises, les employés tombent, foudroyés d’épuisement. Seule la voix de l’insalissable Stern appelle encore à la résistance, à l’évasion. Dans les salles du pouvoir, les sbires s’excitent : “On va la niquer. Cette bâtarde.”
Aux images de l’autoritarisme se superposent celles d’Oskar, jeune garçon qui fait la découverte de la sensualité. Mais très vite l’ombre d’un drame, fantasmé ou rejoué, contamine son initiation et le pousse à la fuite.
Dans les deux récits qui s’embrassent, les fugues, le trouble et la lumière se mêlent dans un mouvement déstabilisant, libérateur et hypnotique. D’une écriture fragmentée, sonore, presque expérimentale dans sa liberté formelle, Lucie Taïeb, poétesse et autrice d’un premier roman Safe (Les Editions de l’Ogre, 2016), exploite toute la puissance contestataire de la fiction dystopique et se joue des codes du genre pour tisser une fable politique. L’intime et le collectif s’y rejoignent magnifiant l’insoumission et l’espoir face aux visages multiples de la domination. Inspirant.