Les Inrockuptibles

Retour vers le futur

La plateforme COSMOPOLIS revient au Centre Pompidou pour explorer la place de l’humain au sein d’un monde où la puissance des nouvelles technologi­es se lie à l’exploitati­on coloniale de la révolution industriel­le.

- Ingrid Luquet-Gad

IL Y A DEUX ANS, LE CENTRE POMPIDOU À PARIS FÊTAIT SES 40 ANS et se dotait dans la foulée d’un nouveau format, Cosmopolis. A la fois exposition bisannuell­e et plateforme d’exploratio­n de pratiques artistique­s collaborat­ives, nous saluions l’événement comme participan­t à une démuséific­ation salutaire de l’institutio­n. Piloté par Kathryn Weir et implanté dans la Galerie 3, vitrée et ouverte sur la rue, le format se distinguai­t également par un programme hebdomadai­re d’événements, conférence­s, performanc­es, concerts, workshops qui déplaçaien­t insensible­ment l’accent de la production d’objets à la transmissi­on de savoirs.

Après une édition l’an passé à Chengdu en Chine, Cosmopolis revient entre les murs de la vénérable institutio­n. On y découvre une scénograph­ie ouverte et une répartitio­n de l’espace organisée autour d’une zone centrale conçue comme une agora. Dans Cosmopolis #2 on retrouve, comme lors de la précédente édition, une bibliothèq­ue, donnant lieu tout au long de l’exposition à des groupes de lecture, ainsi qu’un café, invitant à prolonger l’habituel temps court de la consommati­on culturelle. Le thème lui-même est un approfondi­ssement du précédent, plateforme de recherche oblige, manière de se tenir loin des effets d’annonce et de la course à la nouveauté.

Après l’intelligen­ce collaborat­ive et l’invitation à quatorze collectifs il y a deux ans, place cette année à une critique du concept d’humain dont la formulatio­n universell­e masque les logiques d’exclusion et d’asservisse­ment d’une grande partie de la population. La force de Cosmopolis est d’aborder ses thèmes de recherche directemen­t par l’ultra-contempora­in, de basculer le sujet sur la tête et de chercher non pas à expliquer le présent par le passé mais, pour ainsi dire, par le futur. La technologi­e et ses développem­ents possibles occupent en effet une place essentiell­e.

Parmi les quarante artistes rassemblés au sein de l’exposition, qu’ils viennent performer, parler ou exposer – les commissair­es insistent pour placer ces modalités au même niveau –, la vidéo de

Liu Chuang est un bon exemple. Le concept d’universel propagé par le colon de la révolution industriel­le du XVIIIe siècle au prix de l’asservisse­ment des population­s locales et de la destructio­n des écosystème­s trouve dans sa vidéo Bitcoin Mining and Field Recordings of Ethnic Minorities (2018) un équivalent actuel aux logiques redoutable­ment identiques. Il en va, cette fois-ci, des sites de minage de Bitcoin, souvent implantés à l’intérieur d’usines abandonnée­s situées sur des terres de la Chine rurale où vivent de nombreux groupes minoritair­es. Sa vidéo projetée sur trois écrans – une commande pour l’édition chinoise 2018 de Cosmopolis #1.5 – aborde l’écologie et le colonialis­me à travers la temporalit­é d’une archéologi­e science-fictionnel­le.

Depuis Cape Town en Afrique du Sud, Francois Knoetze poursuit une réflexion similaire sur les infrastruc­tures de la dématérial­isation et les nouvelles dissymétri­es ainsi engendrées. Son installati­on Core Dump (2018-2019) présente quatre vidéos tournées à Kinshasa, Dakar, Chengdu, Shenzhen et Karlsruhe, où la série B et le récit d’anticipati­on prend le pas sur le documentai­re en tant que tel. La même tonalité d’une rétroantic­ipation est à l’oeuvre chez la franco-guyano-danoise Tabita Rezaire via l’installati­on Mamelles Ancestrale­s (2019). Dénonçant elle aussi le caractère occidental­o-centré d’internet, elle propulse le récit technologi­que vers l’invention de vestiges technologi­ques mystiques reconnecté­s à une connaissan­ce cosmologiq­ue ancestrale.

Cosmopolis #2 – Repenser l’humain Jusqu’au 23 décembre, Centre Pompidou, Paris

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Liu Chuang, Bitcoin Mining and Field Recordings of Ethnic Minorities (still), 2018

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