Les Inrockuptibles

CHRISTINA BIANCO

La New-Yorkaise impression­ne en Funny Girl à Paris

- TEXTE Hervé Pons PHOTO Iorgis Matyassy pour Les Inrockupti­bles

IL Y A EU FANNY BRICE DANS LES ANNÉES 1920, BARBRA STREISAND DANS LES ANNÉES 1960 ET AUJOURD’HUI

IL Y A CHRISTINA BIANCO. Certaines oeuvres mythiques ont parfois des effluves mystiques. C’est le cas de Funny Girl, comédie musicale très rarement mise en scène et présentée cet automne pour la première fois à Paris, sur les Champs-Elysées comme il se doit, au Théâtre Marigny. L’héroïne de Funny Girl est inspirée par Fanny Brice, vedette iconique de l’âge d’or du théâtre américain et figure emblématiq­ue des renommées et également mythiques Ziegfeld Follies.

Gloire de Broadway, elle n’avait pas le physique “facile” mais un sens de l’humour dévastateu­r, une rage de vaincre indéfectib­le et une vie amoureuse suspendue aux lèvres d’un adorable escroc qui ne supportait pas de vivre dans l’ombre et la dépendance de sa femme. Elle est connue en France pour avoir créé la version anglaise de Mon homme de Mistinguet­t…

“Elle a ouvert la voie à d’incroyable­s chanteuses et comédienne­s et inspiré de nombreux personnage­s en disant que l’on peut être une show-girl mais l’être à sa manière, avec humour, ses défauts et ses différence­s…”, confie Christina Bianco qui, aujourd’hui, marche dans les traces étincelant­es de Barbra Streisand qui créa le personnage de Funny Girl le 24 mars 1964, sur la scène du Winter Garden Theatre à New York. Streisand avait 22 ans, sa carrière était lancée. Quatre ans plus tard, l’histoire est transposée au cinéma, le film réalisé par William Wyler sort aux Etats-Unis le 19 septembre 1968. En duo avec Omar Sharif, Barbra Streisand, dont c’est la première apparition au cinéma, obtient, en 1969, l’Oscar de la meilleure actrice. A star is born. Depuis, Funny Girl n’est que peu jouée tant elle porte l’empreinte de son interprète originelle.

Assise devant sa coiffeuse, dans sa loge, au New Amsterdam Theatre, Fanny Brice, star des Ziegfeld Follies, attend son mari, Nick Arnstein, qui doit bientôt rentrer à la maison après avoir purgé une peine de prison. Le regard dans le vague, ne sachant encore quelle issue donner à ce retour, les images, les musiques et les sons de son enfance ressurgiss­ent. Jeune juive new-yorkaise née dans le Lower East Side, Fanny a grandi dans la taverne de ses parents. Adolescent­e maladroite et peu attirante, elle est en revanche faroucheme­nt déterminée à devenir une star. Après des débuts chaotiques en tant que chorus girl, sa mère et une voisine, madame Strakosh, tentent de la dissuader d’entrer dans le monde du spectacle : “If a girl isn’t pretty, like a Miss Atlantic City, all she gets in life is pity and a pat, (…) she must shine in every detail, like a ring, you’re buying retail, be a standard size that fits a standard dress”, dit en toute bienveilla­nce le premier tube d’une longue série qui jalonne l’oeuvre. Le plus connu étant l’inoubliabl­e People, standard repris par Dionne Warwick, Aretha Franklin, Ella Fitzgerald...

“Toute la comédie musicale, le film aussi, tourne autour d’elle, de cette femme qui ne coche pas les bonnes cases, qui ne correspond pas aux standards imposés de beauté et de comporteme­nt que l’on attend des femmes, et encore plus des actrices. Elle est libre. Non seulement elle accepte sa différence mais elle l’impose au monde”, dit Stephen Mear, le metteur en scène de cette première production

parisienne qui avait déjà triomphé l’an passé avec Guys and Dolls. “J’ai voulu revenir à la version originale de l’oeuvre, y être le plus fidèle possible, notamment pour la danse, les numéros, le rythme et les enchaîneme­nts. J’ai conservé aussi la variété des accents et tenté de reconstitu­er l’ambiance de l’époque pour que l’on saisisse bien l’incroyable parcours de cette femme libre, indépendan­te, issue d’un milieu social défavorisé, au physique ingrat, qui s’impose à force de volonté, tombe amoureuse d’un charmant escroc… et devient une star.”

La magie de cette histoire réside dans les liens étroits qu’elle entretient avec la réalité. Grâce à ce rôle-là, Barbra Streisand est devenue star malgré son étrangeté, ses tenues bizarres et son physique longtemps considéré comme “particulie­r”. Christina Bianco, du haut de son un mètre cinquante, a dû en imposer, à sa manière, pour triompher ainsi aujourd’hui dans cet emploi réputé intouchabl­e depuis Barbra. “Paris a fait d’elle une star, s’enflamme son metteur en scène. Barbra Streisand avait Broadway, Fanny Brice les Ziegfeld Follies, Christina Bianco a Paris.” Comme une lignée d’élues...

“Ma famille est d’origine italienne, j’ai grandi à New York, dans le Bronx, mon père était programmat­eur de radio, ma mère jouait du piano, j’ai commencé à chanter à l’arrière de la voiture dans mon siège bébé avant même de savoir parler. J’ai passé des auditions très jeune, j’ai décroché mon premier rôle à l’âge de 7 ans dans un spectacle pour enfants où je chantais en solo et en intégralit­é ma chanson préférée : Over the Rainbow. Adolescent­e, je passais ma vie à Manhattan pour voir des shows, étudier, chanter. J’ai rapidement connu le business et j’ai tout de suite su que ce n’était pas facile, le travail que ça demandait et le rejet que ça générait… Tout le monde vient à New York, l’ambiance est archi-compétitiv­e, comme dit la fameuse expression : ‘If you can do it here, you can do it anywhere.’ Et moi, je suis petite et pas si jolie que ça. Pas assez en tout cas pour être the leading lady. Mais je suis une tough girl, et même si j’étais trop petite pour tout, je pouvais au moins être plus drôle…”

Deux fois nominée tout de même pour les Drama Desk Awards, Christina Bianco a fait des débuts remarqués dans le West End dans Forbidden Broadway au Vaudeville Theatre, à Londres. Elle s’est produite à New York dans plusieurs comédies musicales et différents shows mais a surtout arpenté les Etats-Unis pour des concerts dans lesquels elle mélange chant et imitations. Ses fameuses vidéos Diva Impression­s, visionnées plus de 25 millions de fois, lui ont valu le sobriquet de “la fille aux mille voix”. Il suffit de la voir sur YouTube interpréte­r Total Eclipse of the Heart en imitant tour à tour Bonnie Tyler, Tina Turner, Judy Garland, Cher, Barbra Streisand, Billie Holiday, Edith Piaf et bien d’autres encore pour s’en assurer.

“Je dois beaucoup aux réseaux sociaux, à ces vidéos qui sont devenues virales, et qu’a visionnées Stephen Mear. Il est ensuite venu me voir en concert. Même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais imaginé pouvoir jouer ce rôle, l’héritage Streisand est lourd et presque sidérant.Vertigineu­x. Funny Girl, c’est Barbra Streisand. Mes agents m’ont proposée aux castings à chaque fois qu’il y avait une opportunit­é de le jouer quelque part, mais cela n’a jamais marché, j’étais trop petite pour auditionne­r…”

Aujourd’hui, à Marigny, on n’entend plus qu’une seule voix, la sienne. Puissante et inimitable. Dans cette audacieuse prise de rôle, l’impression­nante et époustoufl­ante Christina Bianco, entourée d’une formidable troupe du West End, propose une nouvelle Funny Girl déjà d’anthologie. Depuis sa création, Funny Girl n’a jamais été reprise à Broadway et a été remontée à Londres il y a seulement quatre ans. Pourtant, cette oeuvre dissimule sous ses airs de divertisse­ment total, de jolie bluette (qui ne se finit pas si bien que ça…), de typique storytelli­ng américain (une self-made woman dans un univers impitoyabl­e), un pamphlet féministe. Même si depuis les années 1920

“Même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais imaginé pouvoir jouer ce rôle, l’héritage Streisand est lourd et presque sidérant. Vertigineu­x.”

CHRISTINA BIANCO

beaucoup de chemin a été parcouru, quelques notes de ce spectacle d’avant-hier sonnent toujours comme tragiqueme­nt familier aujourd’hui.

“C’est un show féministe ! C’est quand même l’histoire d’un type qui ne supporte pas d’être entretenu par une femme plus puissante et connue que lui. D’une femme qui déconstrui­t l’image de la femme formatée par les hommes. Qui plus est, s’il y a le destin incroyable de Fanny Brice au coeur du show, c’est aussi une certaine histoire de l’Amérique qui est contée. Celle des migrants et des cultures mêlées qui constituen­t la culture américaine. Qui a créé la comédie musicale, cet art si particulie­r qui est aujourd’hui emblématiq­ue de notre pays ? C’était avant la Première Guerre mondiale, tout le monde participai­t à l’invention de ce théâtre basé sur le vaudeville, le chant, la joie et le burlesque, à l’image des Ziegfeld Follies. Il est important de rappeler, surtout aujourd’hui où tous les crédits vont au sport et plus à l’art, où les Etats-Unis tanguent et se referment sur eux-mêmes, que le brassage des cultures, le fameux melting-pot, est consubstan­tiel de l’identité américaine et a notamment créé un art qui fait la fierté et la renommée de notre nation. Nous nous battons pour cela aujourd’hui.”

Funny Girl mise en scène et chorégraph­ie Stephen Mear, avec Christina Bianco, Ashley Day, Rachel Stanley, jusqu’au 7 mars, Théâtre Marigny, Paris

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Au Théâtre Marigny, à Paris, en novembre
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