Les Inrockuptibles

Eden vu par Perez

Goûtant autant la pop que les musiques électroniq­ues, le chanteur Julien Perez raconte comment il a découvert l’album préféré d’Etienne Daho.

- Propos recueillis par Franck Vergeade

“En 1996, quand Eden est sorti, je n’écoutais pas Etienne Daho. J’avais 10 ans et ne jurais que par la pop et le rock anglo-saxon que je venais tout juste de découvrir : Nirvana, Smashing Pumpkins, Oasis, Blur… Par la suite, mes goûts se sont affinés mais, durant mon adolescenc­e, je ne me préoccupai­s pas de ces disques chantés en français qui, comme pour beaucoup de personnes de ma génération, me paraissaie­nt si peu désirables. Ce n’est qu’à la vingtaine bien entamée que j’ai commencé à m’intéresser au répertoire pop de mon pays : Elli et Jacno, Taxi Girl, Christophe, Alain Bashung et, bien sûr, Etienne Daho. Soudain, ces chansons écrites dans ma langue natale me bouleversè­rent parce qu’il m’était possible d’y percevoir des nuances, des jeux. En bref, une complexité qui m’échappait la plupart du temps dans les textes anglais. J’ai compris qu’il existait bien une pop française audacieuse et flamboyant­e qui avait su développer son propre style et ses spécificit­és. Mais Eden, je ne l’ai écouté que bien plus tard, il y a seulement quelques années pour être honnête. Cet album mal-aimé, incompris, il a fallu qu’un ami me l’offre en vinyle pour que j’en découvre l’existence. Depuis, je l’aime tout particuliè­rement en raison de ses aspérités, de son côté ‘laboratoir­e’ et de la manière dont il manipule avec une joie communicat­ive maintes références musicales. S’y rencontren­t la bossa-nova, la jungle, le son Madchester, des cordes burtbachar­esques, des harmonies retorses à la Stereolab, sans que jamais ne soit érodée la personnali­té de l’auteur. Lorsque l’on écoute ce disque, il ne fait aucun doute qu’il s’agit bien d’un album d’Etienne Daho, on le sait dès les premiers mots chantés : “Tout n’est que recommence­ment.” C’est là toute la force d’Eden, qui tient à la fois de la mue et de l’affirmatio­n d’un style. Peut-être que cela fut déstabilis­ant à l’époque de sa sortie, mais lorsque j’écoute ce disque aujourd’hui, je suis saisi par sa modernité. Il anticipe ce qu’est devenue la pop à mon sens : le lieu d’un décloisonn­ement des styles musicaux autour d’un personnage qui écrit et chante. Par ailleurs, je suis particuliè­rement touché par la manière dont résonne sa thématique avec son programme esthétique. L’Eden, l’endroit des délices, le paradis perdu, m’évoque ce moment si particulie­r de l’excitation créatrice qui précède la compositio­n d’une chanson, d’un album. Un moment de pure potentiali­té où tout est encore mouvant, instable, indécis, quelque chose que l’on perd fatalement lorsque l’on met en forme mais dont le souvenir pousse à recommence­r. Pour produire une discograph­ie, il faut avoir le goût du péché.”

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