Les Inrockuptibles

Seules les bêtes de Dominik Moll

Avec Denis Ménochet, Laure Calamy, Valeria Bruni Tedeschi, Nadia Tereszkiew­icz (Fr., All., 2019, 1 h 57)

- Marilou Duponchel

Un Cluedo au grand air qui impression­ne par son étude clinique des âmes abîmées. C’est une constante du cinéma de Dominik Moll. Les personnage­s sont les figurines d’une arène – un microcosme morne et bourgeois – bientôt contaminée par un nouvel arrivant (ami ou intrus) qui grignote la peau de chagrin qui leur sert d’espace vital. Pour son nouveau film, c’est au grand air, sur le plateau enneigé du Causse, que Moll dissimule, dans un écrin immaculé et broussaill­eux, les indices d’un nouveau Cluedo. Ici, la disparitio­n d’une femme (Valeria Bruni Tedeschi) ouvre la voie à une déambulati­on chorale et mentale où se croisent un homme des bois (Damien Bonnard), un mari trompé et trompeur (Denis Ménochet), une épouse lasse (Laure Calamy), une jeune femme en pleine passion amoureuse (Nadia Tereszkiew­icz) et un cyber-arnaqueur abidjanais (Guy Roger N’drin). Dans cette boule à neige, chacun dispose de ses propres pages (le film est adapté d’un roman de Colin Niel) pour faire entendre et voir sa vérité et ses mensonges. Comme une carte au trésor, le film déploie au gré de ses territoire­s le point de vue de chaque personnage, rejouant les scènes selon un angle différent. De cette entreprise de rembobinag­e naît un récit dense, où les regards glanés en chemin constituen­t les pièces à conviction d’une énigme trouée dont la résolution importe moins que l’origine du mal. C’est avec un sens aiguisé de la mise en scène, une précision clinique dans la descriptio­n des comporteme­nts humains, que Moll farfouille dans le coeur de ces âmes abîmées, gangrenées par un manque d’amour. Malgré un épilogue boiteux, trop étiré et maladroit dans le message politique qu’il tend à faire passer, le film impression­ne quand il connecte les branches intimes de son réseau pour nous dire, non sans désespoir, que la beauté du romanesque et l’extravagan­ce de la fiction n’existent qu’à un seul endroit : dans nos têtes.

 ??  ?? Nadia Tereszkiew­icz
Nadia Tereszkiew­icz

Newspapers in French

Newspapers from France